Sagesse, Paul Verlaine, illustrations Maurice Denis (par Didier Ayres)
Sagesse, Paul Verlaine, illustrations Maurice Denis, bois gravés, Beltrand, fac-similé, dossier par Jean-Nicolas Illouz, Clémence Gaboriau, éd. Gallimard, 176p., 2025, 35 €

Recherche de Dieu, recherche de formes
J’ai abordé le fac-similé de 1911, de Sagesse de Paul Verlaine illustré par le peintre Nabi Maurice Denis, avec simplicité. J’ai été un lecteur simple mais exigeant. J’y ai vu dès lors, une tentative de recherche de Dieu, cohabitant avec une recherche de formes. Que cela soit les xylographies de Maurice Denis, ou les sonnets de Verlaine, tout m’a confiné à une idée mystique, une idée de révélation spirituelle, à la fois sous la gouge de Denis qui nous porte vers une croyance articulée par l’église, et celle d’un choc de connaissance proche de Angèle de Foligno (plutôt d’ailleurs que de Maître Eckhart), confession poétique du poète messin. Peut-être l’iconographie du peintre Nabi est-elle en contradiction avec l’entreprise de révélation mystique du poète messin, car ce sont deux ordres de croyances distincts : la mystique et la pratique religieuses.
Son doigt ganté de fer entra dans ma blessure
Tandis qu’il attestait sa loi d’une voix dure.
Et voici qu’au contact glacé du doigt de fer
Un cœur me renaissait, tout un cœur pur et fier.
Le livre commence par une inspiration anagogique, celle que l’on devine dans le premier poème. À cette prise de conscience, à cette annonce extatique du poème répond l’image d’un communiant baisant la croix tenue par un ange, sur un fond vert de cimetière. Cette intuition de Verlaine qui le conduit à une deuxième naissance en Dieu, sorte de Kairos intérieur, correspond apparemment chez Denis à un excès de religiosité. Tout pour ce dernier en passe par une religiosité sacramentelle. Pour le poète c’est différent. Il s’appuie sur son univers psychique, sur une espèce de voie (de voix) de la divinité.
Mais les deux options sont semblables dans la question de l’amour sacré (luttant contre l’amour profane). L’un et l’autre créateurs optent pour la croyance en Dieu, telle qu’elle ressort du lyrisme des deux artistes.
Et le reste ! – Un doux vide, un grand renoncement,
Quelqu’un en nous qui sent la paix immensément,
Une candeur d’une fraîcheur délicieuse…
Et voyez ! notre cœur qui saignait sous l’orgueil,
Il flambe dans l’amour, et s’en va faire accueil
A la vie, en faveur d’une mort précieuse !
Le recueillement est double : à la fois dans la contemplation physique de l’Église et dans l’étrangeté d’une conversion spiritualiste. Et cela en passe parfois jusque dans l’ivresse (réelle ou métaphorique) qui s’empare de Verlaine, à la façon de Hafez de Chiraz (ce qui indique une orientation intellectuelle).
Chez Verlaine, la croyance est articulée à elle-même, quand chez Denis, elle est davantage en relation avec la Trinité de Dieu, c’est-à-dire dans une vision plus orthodoxe du croire. N’oublions pas que les dates de conception du livre (1889/1911) sont une charnière importante pour le monde du croire : publication de Tête d’or de Paul Claudel, et canonisation à venir de Thérèse de Lisieux (dont la trace est avérée dans certains poèmes de Sagesse). Ce livre est carrefour, à la fois comme route de la mystique occidentale et celle des sacrements religieux catholiques. Et c’est à deux artistes que l’on doit cette mystérieuse alliance.
Cette recherche de Dieu nous fait traverser des formes, des expressions plastiques et des contenus dont l’actualité n’est pas démodée. Des encarts de gravures au style assez schématisé, laissent la place aux traits rectilignes qui densifient l’espace gravé ; par exemple avec un enfant priant avec un saint auprès de lui nimbé d’une auréole dorée. Certains personnages symboliques se retrouvent chez Puvis de Chavannes, dont des femmes recouvertes de voiles blancs ou noirs et des êtres surnaturels en lévitation. Et c’est le génie de Maurice Denis et de Paul Verlaine qui nous offre ce livre, permettant de réfléchir à ce que chacun possède d’illumination intérieure (autant chez le poète que chez le peintre). Suit un dossier intéressant qui éclaire la genèse de l’œuvre et lui reconstitue une histoire physique.
L’exposition Impressions nabies aura lieu à la BnF, site Richelieu, du 9 septembre 2025 au 11 janvier 2026.
Didier Ayres
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