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Rouge sang-dragon, Colette Prévost (2ème critique)

Ecrit par Matthieu Gosztola 21.11.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Les Vanneaux

Rouge sang-dragon, avril 2017, 80 pages, 15 €

Ecrivain(s): Colette Prévost Edition: Les Vanneaux

Rouge sang-dragon, Colette Prévost (2ème critique)

 

Dire « le tremblé de la lumière / l’épaisseur vivante de l’espace », c’est ce à quoi s’emploie Colette Prévost.

Qui cite Henry Bouillier et son introduction à l’édition critique des Stèles de Victor Segalen, en ouverture de Rouge sang-dragon : « On voudrait pouvoir définir avec rigueur les rapports entre les combinaisons de volumes, de couleurs, de son, et l’ébranlement affectif qu’elles provoquent dans le cœur de celui qui les contemple et qui les entend ».

Et Colette Prévost d’ajouter : « Cet “ébranlement affectif” m’a frappée lorsque j’ai vu les tableaux de Max Mitau, plasticien bordelais, qui puise son œuvre à pleines mains dans les pigments purs. Ses tableaux m’ont forcée à l’arrêt debout, face à leurs faces comme l’exprimait Victor Segalen à propos de ses Stèles. Dans l’œuvre de Mitau la lumière traverse le minéral, coloré ou ténébreux, comme l’œil de la stèle de bois qui ornait certaines stèles percées d’un trou rond par où l’œil assuré du ciel lointain vient viser l’arrivant. Je me suis sentie transpercée, à nu. Mitau, forgeron ou alchimiste, je ne sais… le pigment sang-dragon, exsudat de l’arbre sang-dragon, l’étrange dragonnier de l’île de Socotra au large du Yémen, donne ce rouge puissant, alchimique, ou celui de l’atelier-forge… ».

Et dans un poème, elle poursuit : « Il piétine nuits sur nuits / calcinées / noir de fumée / noir d’ivoire / d’os / le sol à ses pas dispute le sang / ce rouge / sang-dragon / sang d’arbre / millénaire // Ses mains / ensemencent la matière / triturent l’indicible parole / en tous sens / la peau et la chair / enluminures / l’or et la lumière ».

Si les contraintes qu’elle se fixe pour l’écriture de ses poèmes comme pour son travail de plasticienne sont la « concision et [la] densité, [la] concentration et [la] condensation », elle confie plus généralement, dans un entretien mené par Jean-Paul Gavard-Perret : « Regar­der, sen­tir, ressentir et écrire, je choi­sis la poé­sie – ce cadre – comme lieu d’inspiration, de res­pi­ra­tion, de concentra­tion, de vibration ».

 

Un poème comme Matière insaisissable en témoigne avec vigueur :

 

Miscellanées d’odeurs de senteurs

végétales minérales animales

de bois d’humus de mousses d’étangs

de poudres d’émanations d’huiles

d’un substrat volatil d’essences

de souvenirs

ça vient d’en haut d’en bas

de l’extérieur de l’intérieur

de la coupe du ciel renversé

d’une absorption de l’univers

de l’assomption de la lumière

d’un après-midi de grand soleil

des replis d’ombre

d’un grain de lumière sur un tesson

d’un effet d’incendie

d’un éboulis de pierres au coin ouest de l’atelier

d’un agglutinement de pollens sur une étoffe

de pigments rouges incrustés

de coulures de colle le long d’une étagère

d’une eau souillée dans un verre bleu

du sol en terre battue

des fourmis à la queue-leu-leu

des feuilles racornies au coin de la porte

des planches adossées au mur

de linges huileux dans une corbeille

des gants couverts de poudre noire

d’une fenêtre ouverte sur un voile de chantier

de la dépouille d’un oiseau mort sous la fenêtre

d’un bouquet de pivoines oublié

des chrysalides d’araignées aux poutres

aux filigranes recommencés

aux garde-mangers en lévitation

aux membranes vibratiles

Miscellanées d’odeurs de senteurs

tantôt lentes tantôt brusques

même piquantes

parfois lourdes et denses

ou aériennes ondulantes évanescentes

certaines flottantes mouvantes

d’autres compactes lourdes écrasantes

celles fluides peuvent être pleines et opaques

et les plus épaisses limpides et molles

Tout entre en relation

Tout entre en résonance

Tout entre en vibration

[…]

 

Si les écrivains et artistes dont Colette Prévost se sent le plus proche (dans le sens référent) sont Pes­soa, Whit­man, Camus, Duras, Sar­raute, Phi­lippe Clau­del, Bache­lard, Hop­per, Dürer, Kie­fer, Gaudi, Camille Clau­del et Giacometti, il convient d’ajouter Ku Sang à la liste, tant leurs univers dialoguent, cheminent ensemble dans le cours solaire (pour qui sait voir) du temps :

 

AVEC LES FLEURS DE L’HERBE (poème traduit du coréen par Roger Leverrier et extrait de l’anthologieAujourd’hui l’éternité parue chez Orphée dans la collection La Différence)

 

Sur la véranda de l’appartement,

Dans un pot où était morte une orchidée,

Des herbes ont poussé d’elles-mêmes

Et ont épanoui la blanche farine de leurs fleurs.

Qu’un brin d’une herbe insignifiante

Remplisse ce moment dans l’éternité,

Qu’il remplisse cet espace dans l’infini

Et s’épanouisse en un bouquet de fleurs,

Plus j’y réfléchis,

C’est un mystère insondable.

En vérité, le fait que mon être, lui aussi,

Remplisse ce moment dans l’éternité,

Qu’il remplisse cet espace dans l’infini

Et se trouve devant ces fleurs de l’herbe,

Plus j’y réfléchis,

C’est un mystère insondable.

À force de penser à ces choses,

Dépassant ma propre existence,

Avec ces fleurs de l’herbe,

J’existe ici, maintenant,

Comme une expression de l’éternité et de l’infini,

Comme une parcelle de l’éternité et de l’infini,

Comme un acte d’amour de l’éternité et de l’infini.

 

Matthieu Gosztola


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A propos de l'écrivain

Colette Prévost

 

Artiste et écrivain

 

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com