Philip Guston, L’ironie de l’histoire (par Didier Ayres)
Philip Guston. L’ironie de l’histoire, dir. Didier Ottinger, corédaction Agnès Desarthe, Joanne Snrech, présentation Cécile Debray, éd. Gallimard/Musée Picasso-Paris, 224 p., 196 illus., 2025, 39€
Au sujet de l’exposition Philip Guston le Musée Picasso-Paris et Gallimard publient un catalogue retraçant une grande partie de l’œuvre dessinée et peinte, allant de reproductions des grandes peintures murales jusqu’aux dernières années du peintre et de sa production figurative.
Philip Guston, né Goldstein (1913-1980) voit le jour au Canada. En 1923 son père se suicide, et l’on suppose l’impact sur l’artiste enfant. Il est lecteur de bandes-dessinées et sa mère l’inscrit à une école de dessin par correspondance. Puis, sa formation se poursuit à la Manual Arts Hight School de Los Angeles où il a pour coreligionnaire Jackson Pollock. Il développe un intérêt pour le cinéma et le muralisme, est impressionné par la peinture de Max Beckmann. Se marie avec Musa McKim, muraliste. Guston est successivement professeur d’art dans les universités d’Iowa, de l’université de Washington à Saint Louis, à Boston… souvent pour de courtes périodes. Il est parfois inspiré par l’horreur de l’holocauste (et l’on pourrait transférer cette peur à son obsédant questionnement sur le Ku Klux Klan). Il voyage en Europe (où il rencontre peut-être la peinture de de Chirico), dessine beaucoup ; fréquente les poètes et les écrivains. L’artiste passe une bonne partie de sa vie à Woodstock où il rencontre Philip Roth (rencontre importante pour les deux hommes).
Ce que l’on retient surtout des 150 reproductions des œuvres de P. Guston, ce sont ses figures encagoulées, des chaussures à clous (une autre récurrence du plasticien), où le peintre cherche dans la figure à résoudre son humanité, sa question humaine. Partant de fresques murales réalistes, qui laissent entendre une maîtrise du dessin et de l’espace, Guston s’éloigne avec le temps vers l’abstraction expressionniste - ou encore vers des toiles dont on pourrait reconnaître l’influence de Bissière ou de Véra da Silva. Sur ce, il n’hésite pas à produire de la macula. Il s’agit sans doute aussi pour certaines fresques de l’influence de de Chirico, et peut-être en creux du Surréalisme. Ce que l’on ressent surtout c’est que derrière la période abstraite se cache une tension - une tentation - vers la figure, la figuration.
Car la période figurative est la plus féconde. Il faut saluer ici la reproduction dans le catalogue, in extenso, des 73 dessins de Poor Richard, inspirés de Philip Roth, où l’on reconnaît le goût du peintre pour la BD et le cinéma, avec sans doute la connaissance d’Harvey Pekar et de Robert Crump. Notons également la prédominance des têtes encagoulées, mimodrame des exactions du KKK, où les peurs pures de Guston s’expriment et se manifestent. Car derrière ce léger humour, derrière ces dessins grotesques, l’on peut lire une réflexion sur la question de la brutalité, de l’existence du mal et des hommes prêts à le perpétrer. Il existe un conflit majeur dans l’esprit de l’artiste : comment peindre et comment toucher à l’intériorité ? Car peindre demande un effort qui peut être violent (au sens où Jean Genet l’oppose à la brutalité). Cette lutte est donc et par essence tributaire de l’acte de peindre.
Disons quelques mots sur l’influence certaine de Pablo Picasso. Guston a vu Guernica, et a certainement été frappé par le caractère politique et symbolique du tableau. De fait, la peinture de Guston est à la fois esthétique, tragique, grotesque, autotélique et politique. Pour preuve de l’influence de Picasso, finement mise en valeur par le catalogue, on la reconnaît dans les encres sur papier de Poor Richard, par le sujet, la mise en espace (malgré le graphisme plus épuré chez Guston), éléments qui se retrouvent dans les Songes et mensonges de Franco du maître cubiste ; même inspiration dans les caricatures de Guston, en plus effrayant, des Portraits à charge de Picasso. Toujours est-il que s’il fallait retenir une seule idée, cela serait les figures d’autodérision, la tragédie d’un homme angoissé dont le seul rempart affectif est la peinture, dans laquelle s’exprime une conscience intérieure. Concluons avec le peintre : « Le conformisme total que l’on voit aujourd’hui dans la peinture anesthésie mon inspiration. Ce conventionnalisme. Cette domesticité. »
L’exposition Philip Guston. L’ironie de l’histoire a lieu au musée national Picasso-Paris du 14 octobre 2025 au 1er mars 2026. (Première exposition consacrée à Philip Guston en France depuis 25 ans.)
Didier Ayres
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