Petit chaperon, Beatriz Martín Vidal (par Yasmina Mahdi)
Petit chaperon, Beatriz Martín Vidal, 64 p., éd. Grasset-Jeunesse, 2025, 22,50€
Edition: Grasset
Beatriz Martín Vidal, née à Valladolid en 1973, a étudié les Beaux-Arts à l’Université de Salamanque et l’Illustration à l’École d’Art de sa ville natale. Elle a remporté plusieurs prix d’illustration et de bande dessinée. Beatriz Martín Vidal a entièrement conçu ce somptueux album, de format carré, 250 x 250 mm (l’une des figures géométriques les plus remarquables). L’histoire est tirée du Petit Chaperon rouge, conte de tradition orale d'origine française, surtout connu par le biais de Charles Perrault et des frères Grimm. L’anthropologue britannique Jamie Tehrani a mené une étude mathématique sur 58 variantes du conte en se concentrant sur 72 variables (nombre et sexe des protagonistes, le type d'animal, la fin, les ruses utilisées, etc.). L’on pense également à la nouvelle d’Angela Carter, La Compagnie des loups, dont Neil Jordan a fait un film.
L’autrice-illustratrice, elle, revisite ce conte célèbre, récité aux enfants afin de les effrayer, ou plutôt en détourne la finalité. La prédation, jusqu’à la dévoration, menace une fillette prépubère. Le loup (déguisé, masqué), montre ici face blanche. Vingt-quatre rushes agrandis deviennent de magnifiques tableaux jaillissant de la nuit profonde, et ce, en trois chapitres, trois phases. La signification du chaperon est double : celle de la fillette revêtue d’une cape à capuche rouge, et celle de la jeune fille mise sous la conduite d’un grand chaperon - une vieille femme, une duègne -, car il n’était pas honnête d’aller se promener étant fille… Dans l’album de Beatriz Martín Vidal, l’habit de feuilles rouges du petit chaperon a la couleur érubescente des coquelicots. Dans le langage des fleurs, le coquelicot incarnerait l'ardeur fragile, la beauté ou la consolation. Le coquelicot est le symbole de Morphée dans la mythologie gréco-latine. Pour l’illustratrice, c’est une plante herbacée annuelle protectrice, qui se métamorphose !
La forêt alentour est impénétrable, une entité noire d’encre, sans fond. Semblable à l’obscurité d’une salle de cinéma. Ainsi, les représentations projetées ne comportent qu’une gamme limitée de couleurs : le noir, les dégradés de gris, le blanc et le rouge écarlate, ombré de noir. Seul l’œil du loup est d’un jaune fluorescent ; le loup gris est nyctalope. Les feuilles, telles des gouttes de sang, enveloppent la jeune fille-arbre, la jeune fille en fleur à la bouche pulpeuse, à la beauté troublante, un peu inquiétante, aux yeux translucides. Les portraits de l’artiste sont d’une grande maîtrise, brossés en estampe, quasi réalistes. La plupart des visages sont créés en gros plans ou en plans américains, ce qui leur confère une grande sensualité.
Que reste-t-il de mère-grand ? L’album va le dévoiler. Libération, résurrection ? Le mystère reste complet. En tous les cas, une renaissance inattendue va émerger du sous-bois hivernal. C’est beau, poétique. L’album jeunesse est rouge et noir, combinaison de couleurs pouvant évoquer des paysages dramatiques. « Le rouge est une couleur orgueilleuse, pétrie d’ambitions et assoiffée de pouvoir. Il y a aussi une face cachée du rouge : mauvais sang, le rouge méchant, héritage de violences, de crimes et de péchés. Elle devient fascinante et brûlante comme les flammes de Satan. On a à faire à une couleur qui cache sa duplicité. (…) Dans la Bible, le noir est irrémédiablement lié aux épreuves, aux défunts, au péché. Dans la symbolique des éléments, il est associé à la terre, donc des enfers. Le noir a aussi un côté positif : associé à l’humilité, la tempérance et à l’austérité. [La symbolique des couleurs, Michel Pastoureau]. Pour Beatriz Martín Vidal, seule, la peinture parle, et c’est là sa plus forte expression. Car le recueil ne contient aucune parole, pas de mots, pas de bavardage, mais des images et seulement trois titres de chapitres.
Dès 6 ans.
Yasmina Mahdi
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