Père et fils, Larry Brown
Père et fils (Father and son) Traduction de l’américain par Pierre Furlan Gallimard, 1996, 376 p. – Repris en Folio, n°3608, 2002, 436 p.
Ecrivain(s): Larry Brown Edition: Folio (Gallimard)
Le roman noir n’est jamais aussi bon que lorsqu’il vire en tragédie.
Même si ce livre évoque aussi, par son titre, la littérature russe, en reprenant celui de l’une des œuvres phares de Tourgueniev, l’histoire est très américaine et plonge dans le Sud cher à Faulkner. Ce Sud populaire et sale, de petits Blancs, au cœur d’une végétation luxuriante, battu par vents et tempêtes, où l’alcool coule à flots et le crime est toujours (trop) facile. Un décor idéal pour laisser le bien et le mal s’affronter.
Le mal, c’est Glen Davis qui sort de prison. Il y a passé trois ans pour avoir renversé un enfant au volant de sa voiture, alors qu’il conduisait en état d’ébriété. Il revient au pays, retrouve son père, Virgil, et son frère, Puppy. Mais ces années de prison ne l’ont pas calmé, bien au contraire.
Sa mère est morte pendant sa détention, mais personne n’ose révéler à Glen dans quelles circonstances de peur de se frotter à sa colère.
Juste avant son arrestation, sa compagne, Jewel s’était retrouvé enceinte. Un fils est né, David, fils que Glen ne veut pas reconnaître. Il ne s’estime pas fait pour la vie de famille, il a bien assez de peine à s’occuper de lui, comment en plus avoir un enfant à charge ?
Jewel a attendu Glen et n’a jamais cédé aux avances de Bobby Blanchard, le shérif, aussi droit que Glen est tordu. Le bon, donc. Glen ne croit pas une seconde à cette explication, il est convaincu que Jewel l’a trahi et qu’elle a fricoté avec ce type qu’il déteste depuis sa plus tendre enfance, notamment parce que sa mère avait été la maîtresse de son père, Virgil.
Elle a résisté à la tentation, parce qu’elle en avait fait la promesse, mais l’homme qu’elle récupère ne veut pas d’elle et d’une vie de famille rangée.
Glen est rentré depuis à peine 48 heures qu’il commet un double homicide sur le patron d’un bar et l’un de ses employés.
Père et fils n’est pas la recherche d’un meurtrier qui est déjà connu. D’ailleurs, si le crime est commis, il n’y a aucun indice auquel se raccrocher pour établir la culpabilité de Glen. Ce n’est pas une mécanique pleine de coups de théâtres et de rebondissements qui se met en place. Après ce double meurtre brutal, Larry Brown observe ses personnages comme des âmes en peine, ils les laissent errer, en prise avec leurs démons.
L’intrigue, finalement, compte moins que la marche implacable de chaque personnage vers son destin. Destin qui ne peut-être que funeste.
Les personnages sont en effet enfermés dans leurs conditions, assignés à un rôle, de la même manière qu’ils sont enfermés dans cette ville du Sud profond des Etats-Unis de laquelle ils ne peuvent s’échapper, et où ils reviennent inexorablement. Une ville et sa végétation qui sont magnifiées par l’écriture de Larry Brown.
« En cette belle matinée, les nuages pâles qui parsemaient çà et là le ciel changeaient lentement de forme, tantôt plats et déliés, tantôt s’agrégeant avec lenteur à mesure que le soleil s’élevait, pliant et redéployant leurs masses pour former de nouveaux bancs qui montaient dans le ciel, qui s’ajoutaient les aux autres et voguaient. Virgil marchait sous le soleil, à la surface de la terre, minuscule silhouette avançant comme une fourmi. »
Si le livre s’appelle Père et fils, c’est plutôt pour tuer une relation qui ne peut pas exister. Glen et son père se méprisent. Glen ne veut pas non plus reconnaître son propre fils et laisse Jewel l’élever seule.
Glen a toujours eu un rapport privilégié avec sa mère, tout comme Bobby. A près de trente ans, ce dernier vit toujours chez sa mère, en attendant de trouver une femme, une femme qui pourrait être Jewel, mais elle doit encore couper les liens avec Glen. Et alors, Bobby pourra devenir un père pour David, il est près à en accepter la charge. Même si cet enfant n’est pas de lui. Même s’il est le fils d’un meurtrier.
Chez Larry Brown, le vrai père n’est pas biologique, c’est une fonction que l’on choisit en toute connaissance de cause, mais pas que la nature impose. Les vrais pères sont absents, ils ne s’occupent pas de leurs enfants et préfèrent traîner où ils veulent, se saouler, avoir des maîtresses.
Ainsi, Bobby va être amené, dans ses fonctions de shérif, à rencontrer un homme qui torture ses enfants. Comme si un père ne pouvait pas être bon, qu’il était même par définition mauvais.
Aucune réconciliation ne sera possible.
Yann Suty
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