Parlando, Dominique Preschez (par Murielle Compère-Demarcy)
Parlando, mai 2020, 139 pages, 12 €
Ecrivain(s): Dominique Preschez Edition: Z4 éditionsQuand écrire acte une renaissance à la parole (Parlando s’intitule ce numéro 10 de la Collection La diagonale de l’écrivain, dirigée par Philippe Thireau, aux éditions Z4 alias Daniel Ziv, là où Louis-René des Forêts titrait l’un de ses récits liés également au silence retenu du langage, Ostinato…), l’écrivain retranscrit son propre cheminement dans le miroir brisé d’un quotidien qui réajuste ses lignes mot à mot, au cœur d’un chant polyphonique plus proche d’un concerto que d’une symphonie.
« À force d’être toujours vivant », à la suite d’un AVC et d’une mort clinique intervenus en 1992 et 1993, Dominique Preschez nous livre, après la somme mémorielle Le Trille du diable parue chez Tinbad en 2018, un retour aux surfaces ondulatoires du monde extérieur et à ses siphons vertigineux, un retour tenté au pays des hommes, ces « autres » semblables
Retour ? sur le seuil, où accueillir l’étranger
&, ne rompre la chaîne vitale, à ne pas trahir
son prochain…
Nous sommes bien là dans le champ d’investigation de la Collection de Z4 Editions, La diagonale de l’écrivain, qui propose aux lecteurs de découvrir la trajectoire en diagonale d’un auteur. Parlando, livre d’heures au chevet de la vie, rejoint, à la force de l’endurance et du désir de survivre à soi-même et à la temporalité pointée, « la jouissance d’existence » évoquée par Guillaume Basquin dans son (L)Ivre de papier cité en exergue du livre de Dominique Preschez. Et de même que, pour citer encore Guillaume Basquin, « (…) pour apprendre les yeux sont inutiles on n’a besoin que d’oreilles ainsi vous avez éternellement autour de vous tous les grands hommes en morts et vivants qui vous entretiennent de vive voix (…) », Parlando en appelle à notre oreille pour interpréter l’une des partitions baroques du monde – oreille que nous aurons, au mieux, affûtée, à défaut de la posséder absolue. L’espace ici entrouvert est celui du tempo du point d’orgue musical : « D’inégales façons, sommes-nous ces points de suspension… dans la cosmogonie ? ».
« Peut-on écrire après mort ? », interroge Philippe Thireau dans la Préface. Ressuscité après un AVC et une mort clinique, Dominique Preschez en quête du Je perdu se cherche partout ailleurs où piètent tous ses possibles, ces « autres » conviés à sa table comme Jacques Cauda convie à la table de sa créativité surfigurative du « peindrécrire » ses hôtes et ses modèles à la manière d’un crucifié rassemblant ses convives (du latin conviva, de convivere formé de cum qui signifie « avec », et vivere, « vivre »), autour d’une parole (croix de Parlando) quasi eucharistique.
Feuilletant les heures du Livre au chevet de la vie, Dominique Preschez « rôde » au milieu de « l’inexistant », « à travers les allées de (s)a jeunesse »… « Là », au jardin du Luxembourg ; « Là », parmi « la santé des arbres » où circule « à l’entre-deux jambes des buissons ardents » et des amoureux « l’incroyable sève de l’air » ; « Là », dans « la démesure de l’instant » ; « Là », dans la fabrique du rêve et des fantasmes d’Éros « …pour s’évader du champ des faits… ».
L’Écrire ici déchiffre/délivre la partition d’un monde perçu dans les ponctuations provisoires de ses interprétations, dans ses notes-qui-demeurent-en-suspens et se poursuivent et s’accordent, au cœur du clair-obscur d’une temporalité éperdument tendue vers le désir de se sentir vivre. La verticalité s’extrait d’arrache-corps du soi emprisonné malgré lui pour que sonne à volée l’angélus du Vivre, depuis une paroi, au pied d’une altitude, dans « le silence actif du volcan » ou encore dans les remous d’un ressassement brassant les eaux troubles du monde afin de mieux en entendre le bourdon puissant, « le trille du diable », le « çà » du soi tentant opiniâtrement l’expulsion du noir sans fin avec l’espoir d’approcher ce « trop-plein d’oiseaux » qui, en tant qu’écrivain, musicien, compositeur de notre propre existence, « en contrepoint fleuri », nous tient obstinément tête.
Murielle Compère-Demarcy
Dominique Preschez, né en 1954 à Sainte-Adresse, en Normandie, est un écrivain et musicien français, à la fois poète, essayiste, organiste et compositeur.
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