Ovaine, La Saga, Tristan Felix (par Didier Ayres)
Ovaine, La Saga, Tristan Felix, Tinbad, avril 2019, 228 pages, 23 €
Journal picaresque
Picaresque ? Oui, et au sens presque littéral, celui de l’autobiographie littéraire d’un héros haut en couleur. À la manière par exemple du Portrait des Meidosems de Michaux. Toujours est-il que cette épithète m’est apparue au milieu de la lecture du livre de Tristan Felix. Et son héros, ou plutôt son héroïne, Ovaine, est déjà en soi un personnage débridé. Son nom du reste incite à la fantaisie et au jeu de mots : Ovaine, Eau-Veine, Love-Haine, Au-Baine, Ovation, Ovin/ovaine, Ovulation, Vaine/dévaine… Et tout de suite, nous plongeons dans le trou étourdissant d’Alice, ou dans le tunnel du métro parisien où Zazie évolue. Et encore, dans une langue rabelaisienne, ou dans l’expression romanesque de chevalerie, que Don Quichotte illustre merveilleusement – en même temps qu’il la fait disparaître. Donc un combat hardi. Une lutte contre les bornes du langage, la limite des mots, et tout cela au bord de la folie sans fin et déchaînée d’une anadiplose, toujours sous le signe du rêve ou de l’humour, un monde fantastique, loufoque, profus. Il y a sans douter une logique aux 324 récits, répartis en neuf parties de 36 strophes qui racontent tout à la fois des événements uniques, mais toujours en fragments de petites histoires narrées dans une langue malaxée et folle, sorte de métaphore du récit humain et de son énigme.
La logique, peut-être, est-elle celle de l’enfance et de ses jeux, de ce flux incontrôlable des histoires d’enfants qui n’hésitent pas à maquiller la vérité pour mieux jouir du jeu ? Ainsi, les jeux de mots d’Ovaine sont souvent à comprendre comme des histoires comiques, du comique de situation tout autant que du comique de mots. Un récit, un journal pour mieux dire, tourné en direction de l’enfance, ce qui implique les enfants probablement, mais aussi ce qui fut l’enfance de chacun de nous, notre propre enfance, l’enfant que l’on est resté…
Comme chaque aurore, Ovaine aux fessons d’acier, de l’Olympe descend pour faire sa gymnastique – en cnémides.
Elle tombe, hélas, le jour des Œufs Olympiques.
Elle est coffrée manu milipresto dans une basse-cour avec un lion qui picore faiblement un vieux crétien loqueteux et une poule rudement décatie. […]
Et dans cet univers picaresque, on trouve aussi, au milieu de la jouissance des histoires, de la joie et du plaisir à vaquer à la signification toujours duelle des phrases ou simplement des mots. On reconnaît une certaine gravité, car l’écrivaine (Écri-Vaine) reste souvent apparente derrière les billevesées et les arabesques langagières, qui lui font une sorte de vêtement, manteau qui laisserait les contours apparents de la personne, de sa personne. Par exemple, l’arrière-monde maritime qui laisse entendre que l’autrice vit en bord de mer, ce qui n’exclut ni la mort et son tragique, ni la vie et sa bizarrerie, ni l’exubérance et l’enflure des mots, ni la rigueur mathématique du plan général du livre. D’ailleurs, je rapprocherais ce texte du travail très actuel de Catherine Gil Alcala, dont la forme cherche aussi son contour comme pour Ovaine.
Désormais privée de carambars, Ovaine décide de monter son Opéra de Cachous.
Dans les bas-fonds où des lubies velues grouillent, où d’horrifiques rêves retroussent les babines – où même une fée a l’air d’un tas de ferraille –, Ovaine recrute contre des cartouches de zan. […]
Je remercie les éditions Tinbad d’avoir eu la bonne idée et l’opiniâtreté de me faire parvenir ce livre qui, on le devine, est inénarrable. Récit ? Conte ? Contelets ? Monologue de théâtre ? Soliloque littéraire ? Journal ? tout cela à la fois et pour le plaisir et le bonheur du lecteur.
Didier Ayres
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