Oeuvres complètes et Lettres retrouvées, Raymond Radiguet
Œuvres complètes, édition établie par Chloé Radiguet et Julien Cendres, 883 p., 25 €, et Lettres retrouvées, édition établie par Chloé Radiguet et Julien Cendres, 445 p., 21 €
Ecrivain(s): Raymond Radiguet Edition: Editions Omnibus
L’œuvre éblouie d’un météore : Raymond Radiguet
Œuvres non complètes, à l’annotation redondante, parfois inutile, parfois hasardeuse, ce qui étonne de Julien Cendres. Je ne reviendrai pas là-dessus. Cela a été démontré suffisamment et avec suffisamment de brio par Jean-Jacques Lefrère dans La Quinzaine littéraire (voir « Radiguet de plus en plus complet », La Quinzaine littéraire, n° 1070, 16-31 octobre 2012, p. 12-14).
La profusion des annotations rend un manque dont pâtit cette édition encore plus cuisant : celui d’un index, indispensable pour une édition de cette ampleur (et surtout, du reste, pour ce qui est du volume de la correspondance).
Mais l’essentiel se situe ailleurs.
L’essentiel (que l’on doit ici saluer), c’est cette réunion, qui fera date, des belles œuvres d’un météore. Pourquoi un météore ? Radiguet a été emporté à l’âge de vingt ans par une fièvre typhoïde. Il meurt quelques mois après que son premier roman, Le Diable au corps, lancé de façon spectaculaire et sans précédent par Bernard Grasset en 1923 (la photographie de Radiguet va jusqu’à apparaître « chaque soir sur l’écran des cinémas de province »), a remporté un immense succès, et après avoir mis la dernière main à son second roman, Le Bal du comte d’Orgel.
Si cette réunion des œuvres de Radiguet fera date, c’est parce qu’elle est portée par un objectif : faire en sorte que Le Diable au corps, porté par un succès de scandale, ne fasse pas oublier l’ensemble d’une production extrêmement diversifiée : poèmes, pièces de théâtre, articles, essais, contes, nouvelles et romans.
Mais qu’en est-il de l’étendue de cette œuvre ?
Pour la rendre précisément palpable, il est important de citer les textes réunis dans ces Œuvres.
Pour ce qui est de la poésie, sont donnés à lire : Le Bonnet d’âne, Couleurs sans danger, Les Joues en feu [1920], Devoirs de vacances, Les Joues en feu [1925], Poèmes inédits, Poèmes divers, Vers libres, Jeux innocents.
Pour ce qui est du théâtre, sont donnés à lire : L’Enfant prodige, Galanterie française, Les Pélican, Les Mariés de la tour Eiffel, L’hommage à Chateaubriand, Le Bœuf sur le toit, Le Gendarme incompris, Paul et Virginie, Une soirée mémorable.
Pour ce qui est de la prose, sont donnés à lire des articles, des essais (Art poétique, Règle du jeu), des contes et nouvelles (Tohu, Billet de faveur, Les Belles Etrennes, La Marchande de fleurs, Edwige ou le Héros, littérature d’art, Denise), ainsi, bien évidemment, que les romans (Le Diable au corps, Le Bal du comte d’Orgel).
Sont donnés à lire, pour finir, des manuscrits achevés et inachevés : Music (La Ville au lac d’argent,Ebauche d’une nouvelle, Ile de France, île d’amour), Désordre, des ébauches et fragments de poésie et de prose, ainsi que des « projets ».
L’on retient de la lecture de cet ensemble protéiforme une collection de pépites, dont la réunion dessine les contours d’un Radiguet méconnu, pour ne pas dire inconnu.
Quelques-unes de ces pépites ?
Dans Désordre, l’on peut lire : « Il y a plaisir d’être dans un vaisseau battu par l’orage, lorsqu’on est assuré qu’il ne périra point ». Ou encore : « En écrivant ma pensée, elle m’échappe quelquefois, mais cela me fait souvenir de ma faiblesse, que j’oublie à toute heure ; ce qui m’instruit autant que ma pensée oubliée : car je ne tends qu’à connaître mon néant ». Ou encore : « La douleur n’existe pas ».
Dans Art poétique, écrit en collaboration avec Max Jacob en 1920 (et publié aux éditions Emile-Paul deux ans plus tard, sans la signature de Radiguet), l’on peut lire : « La plupart des écrivains hésitent à livrer leurs secrets au public, or il n’y a pas de secret ».
Dans Couleurs sans danger (recueil manuscrit composé en novembre 1919, illustré à l’aquarelle par l’auteur, et adressé à Jacques Doucet en décembre 1919), une pièce notamment retient notre attention. Il s’agit de « Registre des réclamations ». Et dans cette pièce, on lit : « Poésie, train de plaisir. L’escalier se déplie comme un éventail. Les wagons sont des instruments de musique. Dans les bals, Miss Electricité fait tapisserie. Un ballon d’enfant, explosant à propos, suffit pour que nous regrettions le temps perdu. / J’ai conseillé à mon voisin de se faire une raison ».
L’on pourrait continuer longtemps comme ça (il s’agira ainsi par exemple de se reporter au très beau « Langage des fleurs ou des étoiles » dans Les Joues en feu de 1920).
Les Lettres retrouvées
Le volume des Lettres retrouvées regroupe quant à lui 140 lettres pour la plupart inédites. Des lettres datant de janvier 1918 (Radiguet a alors quatorze ans) à octobre 1923, deux mois avant que la nuit ne soit, pour l’auteur, la seule réalité.
L’intérêt de cette correspondance est tout d’abord un intérêt historique, qui tient à l’ensemble de la littérature de cette époque. En effet, cette correspondance a lieu avec des écrivains pour le moins notables (Guillaume Apollinaire, Louis Aragon, André Breton, Jean Cocteau, Max Jacob, Tristan Tzara…), des peintres et sculpteurs (Constantin Brancusi, Juan Gris, Valentine et Jean Hugo…), des éditeurs (Pierre Albert-Birot, Gaston Gallimard, Bernard Grasset…) ou le mécène si influent Jacques Doucet.
Le second intérêt de cet ensemble de lettres tient à la personnalité de Radiguet qui s’y distingue avec des contours bien sûr rectifiés légèrement, au fil des lettres, par le vent du temps, bien que Radiguet n’ait pas eu le loisir de l’habiter, ayant été fauché dans sa jeunesse.
Ainsi, du fond de ces lettres, comme du fond d’un lac, monte peu à peu une envolée d’oiseaux d’eaux, qui est le parfum d’une humanité. Celle de Radiguet, qui nous touche, comme dans cette lettre adressée à sa tante Eugénie Cordonnier : « Je travaille toujours beaucoup. Il fait un temps divin, les soirées, qui au début étaient fraîches, sont maintenant délicieuses ; quant aux après-midi, il fait si beau que j’ai pour tout costume un pantalon de flanelle, et une blouse de pêcheur. […] Pardonne-moi ce bas matérialisme, et de te donner de tels détails, mais j’écris tellement de vers, toute la journée, qu’à l’heure où je fais mes lettres, c’est pour moi un délassement de me montrer si prosaïque ! Je continue donc ».
Matthieu Gosztola
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