Nuage de cendre (Men at Axlir), Dominic Cooper (par Léon-Marc Levy)
Nuage de cendre. Trad. De l’anglais (Ecosse) par Céline Schwaller. Mars 2012. 235 p. 19 €
Ecrivain(s): Dominic Cooper Edition: MétailiéNoir, noir, noir. Comme le nuage de cendre qui a survolé l’Europe il y a peu, venu du volcan Eyjafjallajokull ou Grimsvötn d’Islande. Ce livre nous transporte dans un univers d’obscurité. D’obscurantisme. Il constitue à sa manière un renouement avec la tradition du roman gothique.
Terrifiant.
D’abord par le cadre – spatial et temporel. Nous sommes en Islande au XVIIIème siècle. Hivers meurtriers, pauvreté ravageante des campagnes, épidémies létales, nature violente scandée par les tempêtes de neige, de glace ou les éruptions volcaniques destructrices.
Dominic Cooper nous rapporte – à travers « l’affaire de Sunnefa Jonsdottir » - L’histoire d’une haine mortelle entre deux hommes, tous deux représentants de la « loi », shérifs, et dont la haine réciproque sera léguée à leurs fils jusqu’aux extrémités finales.
Il peut arriver au récit de lâcher un peu l’intérêt de la lecture, l’histoire étant si sombre et parfois si complexe. Mais, en fin de compte, le livre n’est pas là ! Il est en deux espaces bien plus importants et qui eux ne nous lâchent jamais.
Le tout premier, c’est la terre glacée d’Islande, personnage central de ce roman gothique d’aujourd’hui.
« Et au-delà du Lomagnupur il n’y avait rien. Rien à part les noires plaines de sable glaciaire et les innombrables rivières, grandes et petites, qui se tortillaient et se frayaient tant bien que mal un chemin du glacier vers la mer. »
« Même par une journée d’été ensoleillée, les flancs escarpés et déchiquetés ainsi que la barrière de roche et d’herbe avaient toujours donné à Hvannabrekka un air isolé et menaçant. Mais maintenant, sous le ciel gris et plat, avec les lambeaux de cendre et de neige drapés sur les hauteurs, l’endroit dégageait une telle atmosphère de tristesse écrasante qu’il semblait presque renfermer une certaine animosité »
Les tourments des âmes, les tourments du jeune « couple » autour duquel se joue le drame (couple incestueux, frère et sœur, Sunnefa ), les tourments des haines et des passions semblent à chaque page trouver un écho parfait dans l’effroyable obscurité de la nature, dans son effroyable froideur.
Le second espace est celui de la sombre tonalité de la langue islandaise. Quelle langue islandaise me direz-vous, c’est une traduction ! Oui, mais la langue islandaise est là partout à travers les noms, les prénoms, les lieux, les villages, les montagnes. Et cette langue est faite de vocalises noires, d’une extrême gravité sonore : Berufjördur, Gudrun Arnadottir, Gunnlaug Kjartansdottir. Le livre entier est imprégné de ces phonèmes, chaque ligne et, peu à peu, se détachant même du sens, s’élève de cette histoire une sorte de mélopée funèbre, faite de syllabes qui semblent d’outre-tombe.
Hommes, femmes, animaux, terre, eaux, tout parait droit sorti d’un enfer d’obscurité et d’obscurantisme.
« Un à un, ils sortirent de la ferme ensevelie et restèrent plantés là à tenter de deviner où se trouvaient les autres fermes sur la surface d’eau gelée, cherchant en vain un bout de mur plus sombre ou une tresse de fumée s’échappant d’un toit »
On sort de ce livre avec le sentiment d’une expérience extrême : celle d’un monde terrible en une époque qui ne l’était pas moins.
Léon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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