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Nouvelles

De plus en plumes (2) - Prises de bec, par Joëlle Petillot

Ecrit par Joelle Petillot , le Vendredi, 08 Avril 2016. , dans Nouvelles, Ecriture, Ecrits suivis, La Une CED

 

Le docteur Brillet traversa le couloir de son service comme il traversait la vie : encombré d'hommages. Sa panoplie naturelle de baroudeur cheveux-gris-œil-vert-jade induisait chez le personnel féminin un frisson dont il se foutait, conscient de son homosexualité depuis l'âge de 15 ans.
Pour l'heure, il rassemblait son maigre courage pour entrer dans la chambre numéro vingt-quatre.
Il y resta peu de temps car les échanges avec la patiente s'avéraient problématiques : à quatre-vingt-sept ans allégés d'une mémoire intermittente, Elodie Parenty persistait à se souvenir avec acuité qu'elle haïssait le praticien. Aussi à l’heure de la visite désignait-elle la porte d'une royale main en mâchonnant "Je me porte très bien", et ne l'appelait jamais que "la libellule" : non pour ses préférences, par ailleurs insoupçonnées, mais à cause des pans de sa blouse trop grande qui ballotaient sur ses flancs, lui conférant ainsi des airs aquatiques.
Une infirmière résignée suivit de peu l'homme de l'art après un entretien très court ("J'ai  la patate, dégage") et entama la conversation d'une voix machinale. 

De plus en plumes (1), par Joelle Petillot

Ecrit par Joelle Petillot , le Mercredi, 30 Mars 2016. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

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Les oiseaux ne se cachent plus pour mourir

 

Quand les premiers oiseaux commencèrent à tomber, personne ne s'y attendait.
Que faire pour exorciser la chose, sinon vaquer ?
Mélanie Chantelle, stylo en main, fit après plusieurs hésitations le choix de l'élégance via une lettre manuscrite pour clore une histoire d'amour devenue boulet. Albert ne lui était plus rien depuis bien avant qu'elle s'en rendît compte. Longtemps, le charme titillant de son absence de cheveux, comme son prénom désuet  prononcé dans la pénombre sous l'effet de caresses peu imaginatives, mais à tout le moins efficaces, l'avaient contentée.
Jusqu'à ce jour de lucidité où elle croisa le nouveau voisin auréolé de boucles et dont le prénom branché s'affichait en cursives sur la boîte aux lettres : Jérémie Larcher.

Songe d’une nuit de Hasard, par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Mercredi, 16 Mars 2016. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Il tombe des hallebardes.

La fosse commune est sur le point de déborder. Assoiffé de vérité, mon ventre absorbe le trop-plein : goutte à goutte. Toutes les inhumanités du monde se concentrent dans mon gros intestin.

Fatigué ! Exténué ! Enflé !

Je râle un peu, des fois un peu plus. Une goutte de pluie, une deuxième puis une énième cinglent mon visage. Leur message tombe comme un couperet…

« Bois et tais-toi ! »

Et j’ai bu. Mes maux. En silence !

Elles dirent encore…

« Avale et tais-toi ! »

Et j’ai avalé. Mes mots. En silence !

Passe et impasse, par Jean-Paul Gavard-Perret

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 02 Mars 2016. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Rien ne fait que le réel s’épuise dans le mot, il n’est qu’une question ouvrant à l’ignorance. Néanmoins nous n’irons jamais plus loin qu’en entrant dans l’écriture même si le monde s’y est précipité bien avant.

Viendra le jour où pourtant nous aurons honte d’avoir perdu tout ce temps. Notre seule excuse sera celle de Beckett : « Bon qu’à ça ». L’insuffisance des mots aura donc suffi à notre existence jusqu’au silence semblable à notre langue. Ses mots auront inventé un isolement de plus. Mouvement emporté par un rêve tout en lui échappant. Enfermés et comme extérieurs à nous-mêmes. Que nous voulions mettre un ordre n’importe peu.

Le réel se déplace, inamovible, dans son accomplissement. La parole lui échappe, elle commande de toute son impuissance. C’est l’amplification du silence. Elle laisse les mots sans paroles à mesure que nous les connaissons. Avant même d’apparaître ils disparaissent. C’est le pas du pas où la marche abandonne.

Volupté amarescente…, par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Mardi, 16 Février 2016. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Lorsqu’elle mourut, par une nuit d’automne, Yumma Yaya, cette femme dont le visage anonyme déambule dans mon esprit brûlant d’amour, fut élevée au rang de sainte par ses adorateurs qui étaient des membres puissants et riches de la noblesse benjoyienne. Quelques jours à peine après son décès, pour rendre hommage à celle qui fut leur oracle, ils érigèrent, sur le sommet de la Montagne Sacrée, un mausolée qu’ils baptisèrent Akham Lehna Negh – la Maison de Notre Bonheur –, où son corps, jamais décomposé, fut enseveli dans une pièce étroite, minuscule, toute rikiki qui ne se désemplissait jamais.

Jamais ?

Jamais ! Car cette femme, amour de mon espoir désespéré, avait la réputation de posséder des pouvoirs extra-ordinaires qui produisaient des miracles et faisaient envier les oracles du monde entier : des pouvoirs aux vertus réparatrices, des dons guérisseurs, des rêves hallucinatoires, des visions extrasensorielles, une ouïe surdéveloppée, le pouvoir de repousser les forces du mal et de les engloutir dans les eaux impures de l’abjection produisait des miracles.