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Nous sommes tous des féministes suivi de Les marieuses, Chimamanda Ngozi Adichie

Ecrit par Marie-Josée Desvignes 18.05.18 dans La Une Livres, Afrique, Les Livres, Critiques, Essais, Gallimard

Nous sommes tous des féministes suivi de Les marieuses, traduit de l’anglais par Sylvie Schneiter et Mona de Pracontal, livre audio, lu par Annie Milon, mars 2018, 12,90 €

Ecrivain(s): Chimamanda Ngozi Adichie Edition: Gallimard

Nous sommes tous des féministes suivi de Les marieuses, Chimamanda Ngozi Adichie

« Partout dans le monde, la question du genre est cruciale. Alors j’aimerais aujourd’hui que nous nous mettions à rêver à un monde différent et à le préparer. Un monde plus équitable. Un monde où les hommes et les femmes seront plus heureux et plus honnêtes envers eux-mêmes. Et voici le point de départ : nous devons élever nos filles autrement. Nous devons élever nos fils autrement ».

C’est par ces mots qui résument bien ce premier texte lu – retranscription d’une Conférence donnée en décembre 2012 lors d’un colloque annuel consacré à l’Afrique – que Chimamanda Ngozi Adichie engage une réflexion féministe sur un sujet toujours plus controversé. Elle le fait avec humour et délicatesse, affirmant cependant une personnalité qui très tôt s’est révélée engagée et décidée pour la Cause féministe. Habituée à donner des conférences notamment sur « la façon dont les stéréotypes appauvrissent nos idées notamment à propos de l’Afrique », elle accepte de parler de sa vision du féminisme tout en espérant malgré les doutes que ses propos susciteraient auprès d’un public attentif mais récalcitrant, que cette question ouvrira un débat nécessaire. Le féminisme lui-même étant limité par les stéréotypes et chargé de connotations lourdes et négatives.

S’appuyant sur son expérience, parfois avec humour et légèreté, elle raconte par exemple comment une universitaire nigériane lui expliquera que le féminisme ne fait pas partie de leur culture et qu’elle a rapporté ses idées de l’Occident. Elle répondra que cet exemple est d’autant plus étonnant qu’à l’adolescence elle n’avait encore jamais rien lu des ouvrages féministes de l’Occident mais tout des livres à l’eau de rose de Mills and Boon (ndlr, l’équivalent de nos Arlequins). Un de ses amis lui dira même qu’être féministe était synonyme de « haine des hommes ». Dès lors, puisque le féminisme n’est pas Africain, elle se présentera comme une « Féministe Africaine heureuse qui ne déteste pas les hommes, qui aime mettre du brillant à lèvres et des talons hauts pour son plaisir, non pour séduire les hommes ».

Plus loin, faisant appel à ses souvenirs, à son vécu et à la manière dont elle a grandi au cœur de son village, elle évoque par exemple, comment à l’âge de 9 ans, elle a désiré devenir chef de classe, alors que la maîtresse dédiait ce statut fondé sur la meilleure note à un devoir, aux garçons uniquement. Elle s’est vue déchue de cette fonction au motif qu’elle était une fille, elle qui se serait bien vue maniant le bâton pour discipliner la classe a pu constater que le garçon « doux et paisible » qui avait eu la meilleure note après elle, n’était absolument pas du tout d’accord pour rentrer dans ce rôle.

La répétition engendre la normalité. Si les garçons deviennent toujours des chefs de classe, nous finissons par penser que c’est normal, tel est alors son constat.

Les hommes et les femmes sont différents biologiquement, mais aujourd’hui, l’être le plus qualifié pour diriger n’est pas forcément le plus fort physiquement, c’est le plus intelligent, le plus cultivé, le plus créatif qui devrait l’être.

Nous avons évolué mais nos idées sur la question du genre n’a pas beaucoup bougé. Par exemple, au Nigéria, les femmes n’ont pas de légitimité économique, l’homme est celui qui détient l’argent et donc le pouvoir ; une femme dans un espace public demeure invisible, inexistante. De nos jours, le déterminisme de genre est insupportable et elle exprime sa colère, rappelant que la colère d’une femme est elle aussi perçue comme menaçante. Avec force exemples, elle rend compte de cette situation, car on attend toujours d’une femme qu’elle soit « féminine » (donc sans colère) même sur un poste important.

Les femmes ont le souci d’être aimées, elles ont été élevées pour plaire, dit-elle. On apprend à nos filles à se préoccuper d’être aimables, on n’enseigne pas cela à nos garçons. Il n’y a qu’à voir le nombre de magazines dans le monde entier sur tous les moyens visant à plaire aux hommes. Dans son pays, une femme est menacée de ne jamais se marier si elle se comporte de manière trop affirmée, c’est une véritable menace. Le mariage peut être une bonne chose mais pourquoi seulement les filles seraient enclines à y aspirer ? s’interroge-t-elle. Une alliance apportera le respect, ne pas en porter sera méprisé. Chimamanda Ngozi rêve d’un monde plus équitable. « Nous devons élever nos filles autrement, nous devons élever nos fils autrement ». Notre vision de la virilité est très restrictive, nous apprenons à nos garçons à devenir des hommes durs, et à réprimer leur sensibilité.

Et « si nous inculquions à nos garçons qu’il n’y a pas de lien entre virilité et argent »…

« Ce que nous faisons de pire aux hommes, c’est de les laisser avec un ego très fragile… plus un homme se sent contraint d’être dur, plus son ego est faible. Quant à nos filles, c’est encore plus grave parce que nous les élevons de façon qu’elles ménagent l’ego fragile des hommes. Nous apprenons aux filles à se diminuer, à se sous-estimer… nous leur disons : tu peux être ambitieuse mais pas trop… sinon tu seras une menace pour les hommes ». Pareillement, plus une femme sera féminine et plus elle aura du mal à s’imposer, nous dit-elle aussi. On fera davantage confiance à une femme qui oublie ses atouts pour diriger. Il est temps que ça cesse, on peut et on doit être respectée en tant que femme. Cette détermination sexuelle vous dicte ce que vous devriez être au lieu de prendre en compte qui vous êtes.

Les Nigérians, de par leur éducation, sont convaincus de la culpabilité des femmes ; par conséquent, on attend également des filles qu’elles fassent davantage de concessions que les garçons pour la « paix du ménage ». « Le problème avec cette détermination sexuelle c’est qu’elle vous dicte ce que vous devez être au lieu de prendre en compte ce que vous êtes ».

Si les femmes sont nées avec le gène de la cuisine, pourquoi est-ce que ce sont surtout des hommes qui sont de grands chefs cuisiniers ?

Et si dans l’éducation des enfants, nous nous appuyions sur leurs capacités plutôt que sur leur sexe ?

Elle conclut sur cette définition qu’elle a trouvée dans un dictionnaire très tôt. « Féministe : une personne qui croit à l’égalité sociale, politique, économique des sexes ».

Suit la lecture de la nouvelle Les marieuses, l’histoire d’une jeune femme mariée contre son gré à un homme choisi par sa famille, « un docteur en Amérique, qui dit mieux ? » autant dire le gros lot, un « mari tout neuf » qui fait tout pour renier ses origines et se « fondre dans la masse » américaine.

 

Marie-Josée Desvignes

 


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A propos de l'écrivain

Chimamanda Ngozi Adichie

 

Chimamanda Ngozi Adichie, née en 1977, est une écrivaine nigériane qui a poursuivi des études aux États-Unis. Son premier roman L’Hibiscus pourpre a d’entrée été acclamé par la critique et l’a établie comme l’une des voix littéraires majeures contemporaines. Son deuxième roman, L’Autre moitié du soleil, a été adapté au cinéma.

 

A propos du rédacteur

Marie-Josée Desvignes

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Marie-Josée Desvignes

 

Vit aux portes du Lubéron, en Provence. Enseignante en Lettres modernes et formatrice ateliers d’écriture dans une autre vie, se consacre exclusivement à l’écriture. Auteur d’un essai sur l’enjeu des ateliers d’écriture dès l’école primaire, La littérature à la portée des enfants (L’Harmattan, 2001) d’un récit poétique Requiem (Cardère Editeur, 2013), publie régulièrement dans de très nombreuses revues et chronique les ouvrages en service de presse de nombreux éditeurs…

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