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Ne le dites à personne, Patrick Devaux (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon 15.10.25 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Poésie, Le Coudrier

Ne le dites à personne, Patrick Devaux Editions Le Coudrier – Mars 2025 Illustrations : Catherine Berael 68 pages – 18 €

Edition: Le Coudrier

Ne le dites à personne, Patrick Devaux (par François Baillon)

 

Suivant le titre de son recueil, Patrick Devaux a des secrets à nous confier. Du moins, c’est l’idée qu’il voudrait nous glisser. La vérité est contraire : en passant par les phases de l’écriture et de la publication, Patrick Devaux a plutôt des secrets à dévoiler. Et ces secrets (on peut les désigner comme tels, considérant que les éléments en question ne sont pas suffisamment remarqués) sont liés aux mots, à la place et à la définition de la poésie dans le monde actuel : « la poésie s’essaie à quelques audaces artificielles / l’intelligence en transpire » (p. 47) ; « sans aucun doute faudrait-il remettre / les pendules à l’heure / nous vivons un épisode de cendres / et / les mots n’en peuvent plus / mais surtout / ne le dites à personne » (p. 48/49)

Nous retrouvons ici le style du poète, qui apprécie les vers courts : ceci amène à une lecture fluide, un peu rapide, qui nous fait d’autant mieux entrer dans l’objet principal du livre. Cependant, une question s’impose : le poète idéalise-t-il un monde désormais fermé ? La part nostalgique attachée à ce recueil est assumée par une phrase mise en exergue.

Habilement, on nous emmène dans une époque indéterminée, mais qui semble extrêmement lointaine, dans des lieux où l’on se réunissait pour « dire » : chacun attendait son tour pour entrer en récitation, la voix justement placée, les mots parfois rehaussés de leur valeur grâce à la présence de la musique : « c’était un temps de jeunes phrases / égarées / entre / les regards échangés les silences allusifs / et parfois / les notes d’une lente harpe docile » (p. 30) Les champs lexicaux de la musique et de la danse, tout du moins du mouvement, sont d’ailleurs très présents au long de ces pages. Ainsi, l’intervention du talent de Catherine Berael, illustratrice, trouve-t-elle son adéquation avec les mots : qu’il s’agisse de la représentation d’une danseuse en action autant que du trait de l’artiste lui-même, énergique, nerveux, vivant en somme. Oui, l’oralité de la poésie est ici remise en scène : on s’y reconnaissait grâce à une transmission par les vocables – vocables choisis, cela va sans dire, syllabes prononcées « au bon endroit ». Mais de quelle époque s’agit-il ? Et le poète évite-t-il les ornières du passéisme ?

A l’image de ces personnages que l’on croise (« poétesse », « homme aux lunettes tombantes », « récitante aux yeux clairs »), et qui peuvent faire figure de référents empiriques, l’élégance qui existait au sein de ces cercles est un argument supplémentaire pour s’en rappeler : « on rimait entre / les phrases disposées / le moins mal possible / sans rien dire / nous caressions parfois du doigt / l’audace d’un non-dit » (p. 50) La comparaison avec notre temps et ce que la poésie y représente trouve, bien évidemment, sa justification : quels éléments font désormais la qualité littéraire d’un poème ? Les livres et les poèmes sont-ils des consommables ordinaires, lestés d’une espérance de vie ultra réduite ? Quels liens entretient-on véritablement par les « réseaux » ?

Le recueil cherche à retrouver une certaine enfance de la poésie (« le poète (…) se souvient d’un temps d’étoiles aux fenêtres », p. 7), en tant qu’espace de magie langagière et de partage de cette magie. La question se pose quant au bénéfice du voyage qu’il nous propose, en regard de notre époque. Pourtant : si le passé servait au futur ? C’est là l’enjeu majoritaire : « j’étais assis parmi eux / je meurs parfois parmi vous / mais tôt le matin / chante parfois l’oiseau ultime / il insiste un peu sur la note » (p. 52) Le poète préfère d’ailleurs entendre le son de son optimisme : « il y a quelque chose à faire / dites-le à tout le monde » (p. 54)

 

François Baillon

 

Patrick Devaux est poète et romancier. Depuis ses débuts dans les années 1980, ses écrits ont été publiés dans de très nombreuses revues et chez plusieurs éditeurs, lui permettant de remporter quelques prix : Prix Poésie sur Seine pour Aire de départ (2006), Prix des Beffrois pour La Main heureuse (2012)… On lui doit à ce jour une trentaine d’ouvrages, dont quelques romans et récits.

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A propos du rédacteur

François Baillon

 

Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne et ancien élève du Cours Florent, François Baillon a contribué à la revue de littérature Les Cahiers de la rue Ventura, entre 2010 et 2018, où certains de ses poèmes et proses poétiques ont paru. On retrouve également ses textes dans des revues comme Le Capital des Mots, ou Délits d’encre. En 2017, il publie le recueil poétique 17ème Arr. aux Editions Le Coudrier.