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My name is Orson Welles / ouvrage collectif sous la direction de Frédéric Bonnaud (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine 15.12.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Biographie, La Table Ronde

My name is Orson Welles / ouvrage collectif sous la direction de Frédéric Bonnaud / Editions La Table Ronde / 464 pages 320 illustrations / Septembre 2025 / 44,50€

Edition: La Table Ronde

My name is Orson Welles / ouvrage collectif sous la direction de Frédéric Bonnaud (par Charles Duttine)

 

Orson Welles ou la figure protéiforme

 

A l’occasion du 40ème anniversaire de la disparition d’Orson Welles, la Cinémathèque française organise une exposition sur le cinéaste, véritable légende du cinéma. Un catalogue d’exposition l’accompagne, un ouvrage collectif très documenté, un « beau livre » comme on dit, riche d’illustrations et de toutes sortes d’informations sur le créateur de Citizen Kane. Ce qui frappe, en premier lieu, lorsqu’on parcourt ce livre, et cette impression va en s’approfondissant, c’est la dimension littéraire d’Orson Welles. Non seulement il apparait dans sa vie comme un véritable personnage romanesque, mais encore la littérature est omniprésente dans ses créations, notamment par ses adaptations radiophoniques et filmiques, de Shakespeare à Franz Kafka en passant Joseph Conrad et H. G Wells.

Plusieurs contributions restituent le parcours de Welles, celui d’un homme aux talents multiples. Un enfant précoce « dessinateur, acteur, poète à seulement dix ans » ainsi que l’écrit un article de journal de son Wisconsin natal, un jeune homme ensuite de seize ans qui s’essaie et s’impose au théâtre à Dublin en à peine six mois, puis l’acteur et le metteur en scène brillant à  Broadway, enfin l’homme de radio adaptateur inventif des classiques de la littérature, avec le moment d’éclat de « La Guerre des mondes » de H.G. Wells qui produisit, on le sait,  une panique « légendaire » par son effet de réel. On retient de ces premiers pas l’image d’un « artiste protéiforme », d’un « homme-orchestre autant que conteur espiègle » tel que l’écrit Jean-Philippe Trias.

Une anecdote est parlante à propos de ses nombreux aspects créatifs, de « l’homme multiple » qu’il était. Un soir à Hambourg, lors de la présentation de son « Procès » d’après Kafka, il n’y a que trois spectateurs. Welles se présente à eux comme auteur, compositeur, comédien, décorateur, régisseur, metteur en scène, financier, etc … et s’étonne d’être venu, lui si « nombreux » alors qu’ils sont si peu dans la salle.

Et puis vient Citizen Kane (1941), ce coup de génie et la référence de tout cinéphile. L’ouvrage propose des articles d’époque et un long interview de Welles de 1960 ; tout cela bien éclairant. On connait tous ce dernier mot murmuré par Charles Foster Kane, juste avant de mourir, « Rosebud » qui conduit le récit. Le film se présente alors comme une sorte de récit balzacien qui montre l’ascension fulgurante du personnage, son apogée et sa solitude finale. « On mourra toujours seul » aussi grand que l’on puisse être, écrivait Blaise Pascal. Un aphorisme que Citizen Kane met en scène superbement.  Et le film se double de la quête d’un journaliste cherchant à cerner le sens de ce dernier mot, que nous seuls spectateurs saisirons véritablement, en comprenant qu’il existe des « souvenirs tenaces » ainsi que le dit un personnage ami de Kane.

Sartre, dont un article dans « L’écran français » est reproduit ici, semble passer totalement à côté de ce chef d’œuvre, lui reprochant une « explication de caractère », une « démonstration technique », un film « abstrait, intellectuel, en l’air ». Plus finement, Jorge Luis Borges parle de Kane comme d’un « puzzle » où les « formes de la multiplicité, de la fragmentation foisonnent », et il emploie une image qui lui est chère celle d’un « labyrinthe sans centre ». Et surtout Aragon, enthousiasmé par ce film qu’il range parmi les chefs d’œuvres et qu’il considère tel un de ces « romans de l’œil », une fresque « à faire pâlir les cloîtres italiens ». Une œuvre, écrit-il encore, qui est « comme l’amour, le poignard », de « celles qui blessent profondément ».

L’ouvrage parcourt également la période européenne de Welles et les multiples adaptations de la littérature, Shakespeare et Kafka, notamment. Surtout Shakespeare pour lequel Welles ressentait une véritable passion ; il créa de nombreuses adaptions théâtrales et cinématographiques. Dans une interview de 1974, il considérait le dramaturge anglais comme « le plus grand homme qui ait jamais vécu » et nous serions, en regard de lui, de « pauvres taupes ». Dans le même entretien, il qualifie Shakespeare de « précurseurs des romanciers », porteur d’un univers d’une extrême « richesse » où « tout le monde est compliqué » et qu’on n’en finit pas d’épuiser. Il faut surtout reconnaître à Orson Welles d’avoir donné une dimension cinématographique aux œuvres shakespeariennes. Plusieurs contributions dans l’ouvrage évoquent Le Tintoret à propos de la construction des plans chez Welles, le premier plan et l’arrière-plan étant tout aussi importants chez le peintre ; remarque intéressante qui montre la force et la puissance de l’image chez ce cinéaste, pour exprimer toute la complexité des choses.

Que retenir de cet ouvrage, aussi foisonnant que pouvait l’être Welles lui-même, si ce n’est qu’il un cinéaste à redécouvrir sans cesse, qu’il y a en lui une densité extraordinaire ? On ne peut en parler qu’en termes hyperboliques. « Un géant », titrait Libération le lendemain de sa mort. « Toujours trop » dit Estève Riambau. Un personnage exubérant, presque terrifiant, à l’image de Falstaff dont il se sentait si proche et qui suscite chez nous des sentiments toujours aussi vivants faits d’admiration et d’enthousiasme.

 

Charles Duttine



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A propos du rédacteur

Charles Duttine

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Charles Duttine enseigne les lettres et la philosophie, après avoir étudié à la Sorbonne où il fut notamment élève d’Emmanuel Levinas. Auteur de nombreux récits courts, dont Douze Cordes (Prix Jazz en Velay, 2015), il a publié deux recueils de nouvelles, Folklore, Au Regard des Bêtes et un récit romanesque Henri Beyle et son curieux tourment.

Son dernier ouvrage (deux novellas) L’ivresse de l’eau suivi par De l’art d’être un souillon vient de paraître aux Editions Douro. Il publie régulièrement dans de nombreuses revues littéraires.