Music-hall, Jean-Luc Lagarce (par Didier Ayres)
Music-hall, Les Solitaires intempestifs, 2017, 64 pages, 12 €
Ecrivain(s): Jean-Luc Lagarce
Théâtre de la présence
Si je devais qualifier d’une seule épithète Music-hall de Jean-Luc Lagarce, je dirais le plaisir, le plaisir de la langue. Car au centre de ce travail pour la scène, le langage fructifie. Ainsi, les réflexions qui m’occupaient durant cette lecture, relevaient plus du champ de l’expression écrite que du saisissement par une histoire, par une diégèse. De ce fait, la pièce est rédigée presque exclusivement à la troisième personne du singulier. Cela présage donc d’une distance, d’un endroit où le personnage se confronte à une chose étrangère. Cette distanciation joue un rôle dans l’intrigue et importe dans cette intrigue langagière.
Cette langue en tout cas est la seule capable de révéler cette inquiétude du présent, d’un auteur atteint d’une maladie incurable et mortelle. Inquiétude qui fait le ferment de l’instant, augmentant la surface des acteurs, inquiétude profonde du passage du temps. Cette angoisse latente est consubstantielle à l’identification par la parole du dramaturge. Le personnage désigne et est désigné. Il montre une douleur et porte cette douleur. Le SIDA a désigné Lagarce, et ce faisant celui-ci désigne la maladie.
Au travers l’originalité de l’œuvre, on perçoit aussi une vision du monde, aussi triste peut-être que le net pessimisme de Beckett. Je regarderai aussi, même en tant que lecteur plutôt que spectateur (car je n’ai pas vu la pièce), vers le cinéma. Et tout suite me sont venus les films de Xavier Dolan ou plus étrangement Tournée de Mathieu Amalric. Quoi qu’il en soit, c’est le présent du film ici, qui n’existe que dans la fête brève de l’œuvre, que j’ai reconnu le plaisir de lire et de m’aventurer sur cette route accidentée d’un dramaturge hardi et un peu sans précédent, auteur de pièces de théâtre conçues comme des cris, comme une agonie – car le présent meurt à lui-même pour devenir présent.
Enfui donc, l’autre, là, que tu remplaces tant bien que mal – je ne suis pas méchant mais il faut admettre que… Je ne suis pas méchant mais la lucidité, je n’en suis pas peu fier, la lucidité est, probable, la seule chose qui me reste de mon enfance –
enfui donc depuis, mais régnait alors à la droite de la Fille et me laissa la place qui est la mienne désormais,
cela m’était égal.
Remplaçais un autre fugitif et nous étions déjà à la fin de l’après-midi,
et le soir venait,
et je n’allais pas faire d’histoire,
ai pris ce qui restait,
m’y suis habitué…
Didier Ayres
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