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Mensch, Michaël Glück (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel le 20.06.23 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Mensch, Michaël Glück, Editions Faï fioc, 2022, 141 pages, 15 €

Mensch, Michaël Glück (par Marc Wetzel)

 

« On ne sait même pas les noms de tous ceux qui sont morts, mais on connaît celui de leur mort, dit Rosa en parlant de l’histoire. Une histoire de livres brûlés, de langues arrachées, de bouches brisées. Nous n’avons jamais dit que nous étions le peuple du livre, avait murmuré quelqu’un. L’aveugle avait expliqué : Nous n’avons jamais dit que nous étions le peuple de l’idolâtrie du livre. Iacob Schumacher aimait répéter cette sentence de l’aveugle malgré les propos malveillants de quelques femmes qui n’avaient cessé de lui reprocher sa liaison avec Danka Wasilewska, l’étrangère. Mais oui, le livre avait une odeur de femme ! Ytzaak Weiningen lui avait dit : Elles ne savent pas que tu gardes le livre contre l’idolâtrie du livre. Et l’aveugle avait ajouté : La chance du livre est dans la danse du livre » (p.102).

Un chef-d’œuvre a le droit de n’être pas précis, ni sobre ni conclusif – et ce livre, on vient de le voir, ne s’en prive pas ! Imprécis : l’exclusive petite communauté de Juifs d’Europe de l’Est (Rosa et Ytzaak Weiningen, Chlomo,

L’aveugle, Déborah, Levon Lewan, Iacob Schumacher, Brindèlé, Martin Wechsler, Sourèlé…) formant ici – à une exception près – les personnages, à des dates incertaines, des rencontres embrouillées, des lieux peu définis – même si la Shoah semble en cours. Bavard, diffus, répétitif : des dizaines de « Il y avait », « Il n’y avait pas », « Il aurait existé », « On aurait retrouvé », « On ne saura jamais », « Un voyageur avait », « L’aveugle disait », « On ne sait pas », « Un commentateur dit »… pour constater qu’un énoncé n’aurait de sens que si l’on pouvait distinguer, dans le réel, sa vérité de sa fausseté, et que, bon, on n’y est pas encore… ! Enfin, on ne conclut pas, ou plutôt – ce qui ne règle ni ne justifie rien ! – on laisse la mort conclure (à la fois violemment, énigmatiquement et logiquement) la vie, d’un coup, en six lignes finales :

« Rien. Plus rien. Deux détonations. Deux coups de feu. Un bruit mat. Une pierre tombée sur le sol. Une forme étendue sur le trottoir. Macadam. Ou pavé. Un oreiller de sang ; un édredon rouge. Bruits de pas. Des tueurs qui s’enfuient. Rien. Plus rien. Pas même une plainte. L’histoire ne dira pas. Un corps de côté » (p.126).

Un chef-d’œuvre a pourtant des devoirs (envers lui-même) : être cohérent (le monde qu’il déploie se tient de mieux en mieux devant nous, et son mystère même nous devient familier), être résolu et rester vaillant (il parvient à aller sans peur à ce qu’il découvre, à n’avoir jamais la faiblesse de se détourner des choses terribles, ingrates, brutes – qu’il poursuit et piste), et, enfin, être exigeant (avoir, spirituellement, l’énergie implacable et l’âme disciplinée). Par exemple, en ce livre, pas une parenthèsepas une paire de guillemets (tout avance, coûte que coûte, tout continue comme c’est venu – dans un contenu immersif, où le tragique est sans pause, sans circonvolutions) ; mais surtout, dans la conduite de ses personnages, pas une prière ! Pas une supplique, pas la moindre diversion qui quémande, pinaille ou palabre ! Pas de Dieu d’appoint ! On a le malheur noble, on s’en tient à ce que peut la Loi – la seule initiative qu’on impose aux autres, comme au Ciel, est la compréhension ! Voici, je crois, comment :

Ces personnages sont comme l’auteur du livre ; ils ont lu le livre de Job ; on sait alors comment le Maître du Sort termine nos récriminations, remballe nos plaintes (« Où étais-tu donc, quand j’ai façonné les mondes, toi qui cries à leur malfaçon ?! »). Chacun se sait tendu, non vers le meilleur, mais par lui. Et nul n’invoque ici un Dieu magicien, ou exorciste, car le mal – même immense, même hors-normes – est estimé normal. Le mal sous ses trois formes apparaît à tous comme allant de soi : la souffrance, parce qu’elle accompagne nos organismes toujours compliqués, s’usant vite, faits pour la vie mais non elle pour eux ! la faute (la trahison, l’oppression, la spoliation, etc.) qui suit de ce que les humains ne peuvent vivre que les uns des autres, c’est-à-dire que leurs travaux respectifs de vie, leurs efforts d’existence, sont condamnés à empiéter, interférer, s’entre-blesser, se disputer cibles et résultats, gêner leurs motifs et élans ; et enfin, inéluctablement, notre bassesse – l’imperfection de nos regards, la médiocrité de nos ressorts de vie, la mesquinerie de nos espoirs mêmes : le difficile n’est pas l’absence de la facilité, mais notre mal à sortir d’elle. Le mystère de notre condition rabougrit notre volonté, lui fait investir le minimum de lumière propre : on préfère désirer avoir la paix à vouloir la faire. Mais c’est justement parce que le seul Dieu digne et mérité est l’inspiration surnaturelle au Bien, la sorte de confiance en notre destin qu’un Principe de l’Univers aurait pour nous, et garantirait jusque dans son silence – oui, c’est parce que Dieu est ce sous quoi il suffirait de penser sa vie pour la désenchanter du Mal – que les personnages de ce recueil comptent sur la Loi, vivent spontanément (sans complaisance ni illusions) sous la Loi, non pour devenir meilleurs, mais pour comprendre comment elle les fera obéir à la meilleure partie d’eux-mêmes, enfin. Car comprendre est la clé, ici, de la vie juive. L’intelligence même sait qu’il n’y a justement pas besoin d’intelligence pour comprendre que comprendre est la clé. Comprendre, c’est savoir ce que ferait, de lui-même et directement, le Bien s’il avait la facilité d’action, les talents d’exécution, les ressources d’intelligence – justement – du Mal. Comprendre, c’est deviner comment s’y prendrait un monde divinement inspiré, assuré de sa sainteté finale, qui ne tiendrait alors, enfin, qu’à sa bonne volonté. Ainsi la seule chose qu’on pourrait mendier à bon droit ici est, non la liberté de s’en tirer, mais la chance de comprendre. Si la liberté est la commune puissance de faire ce qu’on veut, la chance est, en effet, plus rarement et simplement (et mystérieusement), le pouvoir donné à une vie de faire ce qu’elle peut !

Tout livre – même le Sacré – est composé (de feuilles réunies, de pages qu’il recueille comme il peut, malgré les pages arrachées, les « blanches », les douteuses) ; est écrit (une pensée en est l’auteur, qui signe ses traces et titre son objet) ; est interprété, dès qu’il est un peu largement lu (ses lecteurs sont ensemble ceux d’un trouble solidaire : ils se questionnent les uns les autres sur ce qui du Livre sait les interpeller tous, mais qui, en retour, met à l’épreuve et en doute la qualité de leur communauté. Après tout, que valent-ils, que veulent-ils, tous autant qu’ils sont, comme premiers lecteurs de leur propres vies ?). Et puis, si l’Absolu se fait Livre, il en fait siens tous les problèmes (le temps de sa lisibilité lui est compté (p.75) – les mots s’épuisant devant la course et la relève des générations ; l’espace entre les mots fait comme, périlleusement et sans cesse, tomber le regard dans un « au-delà du livre » (p.74) ; un livre (p.69) est comme une étrange valise où doit entrer le voyageur). L’auteur souligne, en poète, cette fatigue du sens même, la fragilité de son sceau :

« La page blanche est une vitre où deux enfants viennent sceller l’alliance d’un baiser et leurs lèvres ne se touchent pas. La buée dissipe l’illusion du carreau ; chaque visage tremble. Puis vient le temps du livre où l’alliance se brise, où le souvenir d’un amour dissout l’amour, où la mort emporte un visage tandis que l’autre titube et s’aveugle dans l’absence ou la transparence. La page noircie est faite des traces d’un visage emporté par l’absence et ce flux noir peu à peu s’évapore, délié par celui ou celle qui l’appelle » (p.57-58).

Le Livre de la Loi est un livre de Puissance et de Sagesse, et sa lecture assure d’elles, en tout cas de leur présence dans le Livre qui les rapporte. Puissance : oui, un Auteur du monde en a trouvé en lui la force, et sagesse : ses raisons de s’allier à un peuple défini sont les nôtres. Mais, si puissance et sagesse font vite taire Job, quelle bonté, quelle justice, pour justifier une solution finale ? Est-ce d’ailleurs au livre de Dieu à les porter ? Le petit peuple des commentateurs, inlassablement, examine et interroge : au contraire de puissance et sagesse (chacune nécessaire et autonome), bonté et justice ne sont peut-être pas des moments substantiels de Dieu : la bonté n’est qu’une dispensation contingente (qui rappelle à l’être fini, qui veut en bénéficier, son état sursitaire, et soumis à l’Infini gracieux), la justice n’est qu’une réparation extérieure (qu’elle soit corrective, commutative ou distributive, elle n’est là que pour compenser ou rétablir ce qui a défailli ; la justice, comme dit Hegel, rappelle à l’être fini que son droit d’être est fini, comme celui des autres, et qu’un rééquilibrage de leurs prétentions, un rafistolage de leurs participations ne sont que balancier de coups de pouce, et rappel, à qui en appelle à elle, que, même reine du monde, la justice finira avec lui).

Il en est de même du rapport à l’histoire. L’auteur oppose souvent la vive fidélité (directe, et nourrissante) de la mémoire à l’exigence froide, méthodique, indéfinie de l’histoire. Dieu protège ainsi la mémoire de son peuple, mais son histoire ? La condition historique est laborieuse et faillible : il faut en elle dater toutes les époques, et les faire entre elles se redéfinir ; il faut s’expliquer à qui et quoi l’on succède, s’imaginer et vouloir ce et ceux qu’on précède, se construire et se justifier comme contemporains risqués et éphémères (dans une posologie infiniment délicate de nos droits terrestres réels). Dieu, qui n’a pas d’histoire (l’éternel n’a goût ni de poudre ni de poussière, et n’a que lui-même à devenir !), est-il le bon paratonnerre de la nôtre ? L’histoire, dit l’auteur, est peut-être davantage « verrou » que clé du devenir ; « verrue » de lui, plutôt que sommet – ou, dit plus nettement encore : « on ne peut rien tirer de l’histoire » (p.109), « parce qu’elle tire toujours la première ». Mais dès lors…

« L’histoire est le silence du devenir. Ou bien son agonie. Ou encore celui qui anticipe une naissance. Malka Wichniewicz, qui avait une petite librairie dans le quartier, avait épinglé cette phrase au-dessus de l’étagère où elle rangeait, disait-elle, les livres qu’elle aimait le plus. Mais les visiteurs n’y avaient jamais vu aucun livre. C’était l’étagère vide de Malka. Si quelqu’un lui demandait le sens de cette petite phrase dont l’encre avec le temps s’estompait, elle disait n’en rien savoir. Tout le monde néanmoins disait de Malka qu’elle était accueillante » (p.23-24).

Avec cette question simple, et tragique : celui (individu ou peuple) qui s’émancipe des prétentions ruineuses de la vie historique pourra-t-il, dès lors, échapper à ses fureurs réelles ? La mémoire a toujours quelque chose à déclarer et à faire vivre, puisque tout souvenir déclare le passé vivant ; mais l’histoire est d’abord celle de présents qui s’entretuent, et, justement, de mémoires qui s’entrechoquent, se jugent et déconstruisent les unes les autres. L’histoire est faite de documents – qui font voir des « versions » indéfiniment discutables de la vie humaine, qui instruisent non d’une présence vive, mais de traces (effaçables) d’une existence (peu exemplaire), et de monuments – qui balisent spectaculairement des trajectoires souvent elles-mêmes fatales, qui nous rappellent qu’il serait temps pour nous aussi de fixer quelque chose de nos destins, de les inscrire pour le meilleur ou pour le pire dans le devenir commun. Hors de l’éternel, trouve-t-on autre chose, en matière de vie proprement humaine, qu’échantillons dépassés et exhortations illusoires ? Et, comme le montrait déjà la mythologie grecque, les dieux interviennent dans l’histoire bien plus ambigument et maladroitement qu’ils ne le feraient dans la nature !

« Il aurait existé une première version du livre qui commencerait après le livre. Mais qui sait si cette version était la première ? Qui sait encore ce que fut l’origine ? Un commentateur anonyme dit qu’il s’agit d’une fiction. Un autre, moins érudit, d’un conte à dormir debout. On attribue à l’aveugle, qui aurait été l’élève préféré d’Ytzaak Weiningen, le regretté grand-père de Pierre Weiningen, fils de Chlomo et de Rhapsodie Weiningen, on lui attribue ce propos : Oui, c’est un conte à dormir debout et nous dormons en effet » (p.108).

C’est alors la plus terrible des préoccupations : le livre de vie du peuple juif peut-il être livre de vérité ? Car l’homme est la seule créature responsable, ici-bas, de l’Infini – mais que peut-il en restituer objectivement ? Notre « vrai » latin – verus, n’est déjà qu’une attestation pragmatique, qui rapporte, non ce que le réel est pour lui-même, mais les services que nous pouvons raisonnablement en attendre. L’esprit ne respecte le vrai que parce que celui-ci protège en retour son action, y sauvegarde ou sécurise sa position, non parce qu’il lui présenterait l’être des choses, et l’ajouterait bénévolement à lui. Le « vrai » de la tradition hébraïque (émet/emunâh) fait de même : il est ce sur quoi on pourrait continuer à compter, ce qui gardera assez son intégrité pour contribuer à la nôtre. Quand Yahvé se définit (exceptionnellement) lui-même : « Je suis Celui qui suis », il dit seulement qu’il a jusqu’ici tenu sa promesse d’être, et que nos efforts auraient raison de lui rester fidèle – mais pas du tout QUI il est, et ce que signifie donc notre propre source d’humanité. Ainsi, du Livre, l’humanité (élue ou non) peut au mieux tirer les directions de conduite qu’elle peut suivre sans les contredire ni se trahir, mais nous ajuster au mieux aux situations ne nous révèle en rien la situation que l’humanité elle-même est. En Dieu même la « vérité » a-t-elle assez de sens, et en a-t-il lui-même réel usage et emploi pour que nous le créditions de la source d’elle ? Que vaut l’Alliance quand elle se noue ? Que faire de nous quand elle se paraît se défaire ? Cette crise de la vérité même peut à bon droit terrifier, au moment d’autant plus où apparaît dans l’histoire, pour un peuple, ce qui veut le faire disparaître d’elle… Michaël Glück trouve là d’admirables et très divers accents pour l’exprimer, entre très solennelle ironie, noble ferveur et énigmatique dérobade :

« Il entendit vaguement, dans un demi-sommeil, la voix du narrateur : Les douaniers lui avaient demandé s’il avait quelque chose à déclarer ; alors il avait dit : Oui, les droits de l’homme » (p.86).

« Qui se souvient ? L’oubli, blessure plus grande encore que celle de la mémoire, blessure plus profonde encore que celle de la mémoire. (…) Qui pourrait coller des semelles neuves aux souliers d’un danseur ivre ? Il n’y a pas de traces. La neige a fondu, l’eau gagne le torrent où se perd la voix de Déborah » (p.95).

« À quelqu’un qui lui proposait de recueillir ce qu’il disait, l’aveugle, un peu irrité, répliqua qu’il n’était pas à l’agonie. Puis il ajouta : Je n’ai aucun désir d’être écrivain. Au mieux, j’écris le vent. Je suis un passager du vent et de la neige qui fond sous les pieds nus de Déborah. Je t’aime, disait-il chaque soir pendant six jours et le septième était consacré au silence du livre » (p.97).

« Malgré toute la tendresse qu’elle éprouvait pour lui, Rosa ne pouvait s’empêcher de penser à son époux, à son Ytzaak Weiningen qui était parti en refusant qu’on fasse son portrait. Je ne suis que dans la lumière des mots, avait-il expliqué à un photographe ambulant qui avait repris sa route en haussant les épaules. Il y avait dans la tête de Rosa des mots, des phrases qui continuaient à briller de cette clarté d’avant les premiers mots » (p.89).

Et ceci, dont l’image-récit semble tout résumer :

« Chlomo aimait la porte ouverte de l’échoppe de Martin Wechsler, le cordonnier. Souvent il passait le seuil, l’interrogeait : Pourquoi Ytzaak Weiningen, mon père, disait-il que si nous n’y prenions pas garde nous ne serions bientôt plus que les reliques d’un monde ; et aussi que si nous y prenions trop garde, ce monde ne serait plus qu’une relique. Et qui est ce nous dont il parlait ? Je l’ignore Chlomo, répondait chaque fois Martin Wechsler. Mais la question n’est pas un commencement de réponse. Elle n’est que la vigilance. C’est cela prendre garde » (p.98).

Malgré ses éprouvantes obscurités, ce livre de Michaël Glück – paru déjà il y a quarante ans, et ici retravaillé – dit exactement l’irremplaçable vigilance de la poésie même. Deux certitudes : ce n’est pas un livre religieux ; mais c’est pourtant un livre qui conteste l’exclusivité d’une vie historico-politique. Si le peuple juif n’avait toujours mené que cette vie-là, il aurait disparu depuis longtemps : les persécutions l’auraient supprimé, ou dilué dans l’assimilation sans retour ; mais l’orthodoxie spirituelle n’est pas non plus la solution (la mise en culte d’un Livre de la Vie serait hypocrisie – car tout Etat, fût-ce l’Etat juif – doit user de sa violence pour contrer celles des autres Etats et des citoyens – aussi pieux soient-ils – contre lui ; et nous n’avons que l’Histoire pour nous protéger réellement d’elle). Ce que « Mensch » propose, c’est seulement un entre-commentaire incessant des vies, et une ardente et inquiète référence à la vie même du Livre, car les conditions de survie respective du peuple et de son livre (ou pour mieux dire : du Livre et de son peuple) sont liées. On peut s’irriter de la roue des redites, de la « scie » des images lyriques, de finesses obsessionnelles qui n’en finissent jamais de différer l’intrigue et brouiller le damier sur lequel avancent ses pièces, mais ce petit livre est et demeure génial, car il affronte le monstre historique que l’homme est pour l’homme, il assume parfaitement, par son indépassable litanie, ce fait – comme disait Ricoeur – que : « Il n’y a pas d’échelle de l’inhumain, parce que l’inhumain est hors-échelle, dès lors qu’il est hors-normes, même négatives ». « Mensch » désigne familièrement le gars bien, le type décent, l’être qui n’attend pas qu’on ait dissipé pour lui le mystère de l’humain pour en devenir un ! « En garde ! » dit ainsi l’aveugle à nos visions tronquées, et complaisantes. La poésie volatilise les odieux petits secrets du mal, pour nous établir, mystérieusement, à la porte de paix du Bien. Comme dit Rosenzweig, à la fin de L’Étoile de la Rédemption, même si la Vérité est au-delà de la vie, elle ne sert pourtant qu’à elle : quand les battants de son Porche n’ouvrent plus sur la vie, ils ne sont que mâchoires d’étau. Formidable réussite de ce livre, qui rouvre et fait comprendre !

« Qui c’était ?

Et une voix plus vieille que la voix de Sourèlé :

A mensch » (p.127).

 

Marc Wetzel


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A propos du rédacteur

Marc Wetzel

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Marc Wetzel, né en 1953, a enseigné la philosophie. Rédige régulièrement des chroniques sur le site de la revue Traversées. Dernier ouvrage paru : Exercices (Encre Marine/Les Belles Lettres), 2015.