Malraux maintenant – Pascal Louvrier (par Philippe Chauché)

« Nous nous hâtons dans le jour gris, sous le glas auquel répond celui de toutes les églises de France et, dans mon souvenir, toutes les cloches de la Libération. J’ai déjà vu le tombeau ouvert, les deux énormes couronnes sur le côté : Mao Tsé-toung, Chou en-Laï. A Colombey, dans la petite église sans passé, il y aura la paroisse, la famille, l’Ordre : les funérailles des chevaliers. »

André Malraux – Le miroir des limbes – Lazare

Malraux maintenant est le roman historique et politique d’André Malraux, une biographie qui suit l’écrivain à la lettre et au corps, sans l’une l’autre se dissous, sans l’un l’autre s’efface. La Lettre : ses romans, La Condition humaine, L’Espoir, Les Noyers de l’Altenburg, et ses livres inclassables, Antimémoires, La Tête d’obsidienne, Lazare, L’Irréel, tous révélateurs du cheminement des hommes vers la liberté (et vers la mort), de l’art et de l’irrationnel. Le corps : un oiseau aux ailes noires qui rarement se déploient, il les garde au plus près, elles lui tiennent chaud, elles semblent noires, mais à bien à y regarder elles sont d’or et d’argent, même lorsqu’il chute, son corps ressuscite sur l’instant et puis il y a la voix, cette voix unique, entre toutes reconnaissable. Elle le dévoile, et prolonge dans les échos rocailleux dont elle regorge ce corps et cette Lettre, elle est tout autant romanesque que sa vie le fut. C’est tout cela, et plus encore, au plus près de Malraux, que cette biographie singulière nous offre. On ne raconte pas la vie d’une telle nature, d’un tel homme, d’un tel écrivain, d’un tel ministre, sans être soi-même écrivain, sans se laisser entrainer par ce fleuve de l’intranquilité que fut Malraux. Les faits comme les livres sont têtus, ils tiennent debout face aux rumeurs, aux rancœurs, aux règlements de compte, aux jalousies ; Malraux n’est pas insensible à ces vents mauvais, mais il préfère le silence, ce silence de cathédrale qui le protège, agnostique jusqu’à la fin, mais d’évidence sous haute protection divine. Malraux vivait à la fois dans la lumière et dans l’ombre, il ne vivait pas caché, mais en retrait, s’il est offensif c’est pour rendre honneur et fidélité à son double : Charles de Gaulle.

« Pour métamorphoser l’existence en livre, légende, mythe. L’écrivain est un alchimiste, il transforme la boue – « misérable petit tas de secrets » - en œuvre littéraire. Sublimation qui lui permet de tenir en respect une réalité trop insoutenable. »

Pascal Louvrier – Malraux maintenant

« Lorsque passe au-dessus de lui (le Nil) le vent de sable, sans doute sa vieille mémoire mêle-t-elle avec indifférence l’éclatant poudroiement du triomphe de Ramsès, à la triste poussière qui retombe derrière les armées vaincues. »

André Malraux – Oraisons funèbres – Pour sauver les monuments de Haute-Égypte

Pascal Louvrier est un biographe de cœur, attentif et curieux, sa biographie en est l’heureux signe, de Georges Bataille, à Michel Delpech, de Paul Morand à Françoise Sagan et enfin de Philippe Sollers à Philippe Sollers, près de trente ans séparent les deux biographies du bordelais, qui désormais siège au Paradis. Un biographe romancier attentif au déroulement du temps, c’est-à-dire, à la force tellurique des livres et des hommes qui les portent. André Malraux est de ceux-là. Pascal Louvrier possède l’art de convier Malraux à notre table de lecture, il est vivant, on le voit, on entend sa voix, on croise sa silhouette un peu voutée, portés par le style de l’écrivain (déjà admiré dans sa biographie sur Sollers), vif, brillant, d’une grande vitalité, et qui ne s’embarrasse pas de notes de bas de page, ces lourdes bouées qui encombrent souvent les biographies savantes. Pascal Louvrier y préfère une écriture savoureuse pour humer les parfums aventuriers et romanesques d’André Malraux. Nous connaissions à grands traits la vie et l’œuvre d’André Malraux, Pascal Louvrier qui travaille à la plume fine, déploie des lignes inconnues ou oubliées de l’écrivain invincible, des lignes qui s’assemblent en une belle et vaste tapisserie tissée de ces fils d’or, avec ces zones noires et grises, mais aussi ses éclats solaires. Pascal Louvrier met aussi en lumière, un Malraux témoin de son temps, de la guerre d’Espagne à la Libération de la France, et il fut l’un des rares à avoir vu la réapparition de Satan sur la terre, dans les camps d’extermination, cette même signature diabolique, écrit Pascal Louvrier, fut à l’œuvre le 7 octobre en Israël. Malraux maintenant ne fait pas que rendre justice à l’écrivain un peu oublié, au ministre certes toujours salué, mais vite enterré, il lui offre une nouvelle vie, ce qui est pour le moins le rêve de tout biographe bien intentionné, que l’on peut qualifier ici, de gentilhomme des Lettres.

Philippe Chauché

Nombreux sont les livres d’André Malraux disponibles dans la collection Folio chez Gallimard, l’intégrale de son œuvre est publiée dans la collection de la Pléiade chez Gallimard.

On doit notamment à Pascal Louvrier : Portuaire, roman (Kubik Editions), Philippe Sollers entre les lignes (Le Passeur) https://www.lacauselitteraire.fr/philippe-sollers-entre-les-lignes-pascal-louvrier-par-philippe-chauche

mais aussi Gérard Depardieu, à nu (L’Archipel), Fanny Ardant, une femme amoureuse et Moteur (TohuBohu Editions).