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Lola, Melissa Scrivner-Love (par Christelle d'Hérart-Brocard)

04.02.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Seuil

Lola, octobre 2018, trad. Karine Lalechère, 336 pages, 21 €

Ecrivain(s): Melissa Scrivner-Love Edition: Seuil

Lola, Melissa Scrivner-Love (par Christelle d'Hérart-Brocard)

 

A Los Angeles, dans le quartier sordide d’Huntington Park, Lola fait profil bas devant la bande de gros durs à cuire que sont les Crenshaw Six. Sa qualité de petite amie du chef lui assure un certain statut, dérisoire toutefois en raison de son sexe, mais aussi et surtout une position on ne peut plus stratégique au cœur des magouilles organisées par le gang : véritable fouine, Lola voit tout, Lola sait tout, Lola bénéficie de l’invisibilité que lui confère le sexe faible dans un monde totalement gouverné par la force virile. Lorsque El Coleccionistale Collecteur, fait irruption dans sa piètre « garden-party », organisée pour entretenir les rapports de bon voisinage, et demande à parler à Garcia, l’atmosphère, qui n’était déjà pas tout à fait bon enfant, s’alourdit sérieusement : les femmes s’éclipsent, les hommes gonflent le torse et se parent de leur masque de gravité. L’heure est à la discussion entre mâles. Lola flaire le gros coup. Malgré la peur de commettre une erreur et de se faire démasquer, elle ne se démonte pas et revêt habilement son costume de faire-valoir inoffensif. Transparente et docile, elle propose et distribue cafés et biscuits, sans toutefois perdre une once de ce qui se joue à huis clos dans la buanderie, là où se sont retranchées les têtes pensantes.

Au terme de ce conciliabule, il s’avère que Lola a eu le nez creux, et pour cause : c’est elle, en réalité, le cerveau des Crenshaw Six et la cheffe de gang : le Collecteur leur propose une grosse affaire, bien juteuse mais terriblement risquée, afin d’éliminer l’un de ses concurrents directs sur le marché de la drogue. Lola n’hésite pas longtemps et parvient à faire accepter le dealpar Garcia, leur chef présumé : elle voit dans cette opération de grande envergure une manière de propulser sa petite bande minable au rang des gros bonnets du quartier et la possibilité de dévoiler, plus tard, sa véritable identité. Bien que minutieusement orchestré par ses soins, cet énorme coup capote à cause d’une erreur grossière commise par Hector, son propre frère. Sa tête est mise à prix mais elle la garde froide et se révèle toujours plus forte, calculatrice et sanguinaire au fil des pages. Aussi, pour assouvir son ambition irrépressible de se faire un nom dans la cour des grands, est-elle capable de se rendre coupable des pires atrocités. Bizarrement, elle n’est pour autant pas dépourvue totalement d’empathie puisqu’elle s’entiche d’une gamine dont la mère est camée tout en jouant la boniche auprès de sa propre mère défaillante.

Très mitigés, les avis sur ce premier roman ne manqueront pas de l’être. Ce n’est pas, en effet, de la grande littérature, loin s’en faut. Mais le lectorat ne se compose pas uniquement d’intellectuels taiseux et binoclards, assoiffés de lectures exigeantes, voire hermétiques. Pour tous les autres, Lolan’est donc pas totalement dénuée d’intérêt.

Avant d’écrire Lola, Melissa Scrivner-Love a fait ses preuves en tant que scénariste pour des séries policières telles que Les Experts et Person of Interest. Le rythme, la structure et la constitution de l’intrigue de ce premier roman doivent beaucoup à ce premier métier : l’histoire est cadencée, équilibrée, maîtrisée, entre des scènes d’actions, nombreuses, promptes et véloces, et des arrêts sur image, censés motiver les actes de l’héroïne et éclairer sa psychologie. En ce sens, le roman est efficace et son manque total de crédibilité, s’il peut agacer, satisfait le cahier des charges de ce genre de fiction, où le personnage principal incarne sans vergogne tout un panel de valeurs héroïques, quand bien même seraient-elles contradictoires. Aussi ne faut-il pas s’offusquer du personnage de Lola, qui oscille impudemment entre Mère Térésa et la tueuse en série. Il ne serait cependant pas tout à fait honnête d’enfermer l’héroïne dans ce balancier caricatural puisque ses relations familiales, avec sa mère d’un côté et son frère de l’autre, expriment assez justement toute l’ambivalence d’un « je t’aime, moi non plus ».

D’un point de vue sociologique, le roman de Melissa Scrivner-Love explore les bas-fonds et les quartiers miséreux de Los Angeles. La vision que l’auteure nous en donne est âpre, crue et violente, et contrairement à celle de son héroïne, on la devine non seulement crédible mais tout à fait réaliste. L’ultra-violence et la perversité du système à l’intérieur d’un ghetto sont très justement évoquées. On prend notamment la mesure du racisme ambiant et des différences de traitement que les autorités locales réservent aux différentes ethnies. Les Mexicains ne bénéficient par exemple pas des mêmes droits que les Blancs. A noter absolument, un leitmotiv intéressant et original : le « graillon ». On mange souvent et mal dans les quartiers défavorisés. Empenadaset autres fritures imprègnent, graissent et souillent presque littéralement toutes les pages du roman. Porté par ces relents écœurants, le lecteur ne peut qu’éprouver la puanteur de la misère, au sens propre comme au sens figuré.

Dans la continuité et la logique de son travail de scénariste de séries télévisées, Melissa Scrivner-Love signe avec Lola son premier roman, traduit par Karine Lalechère. Les aficionados ne seront sans doute pas déçus. Pour les autres, c’est l’occasion de découvrir, comprendre, voire rallier ou railler cet engouement populaire.

 

Christelle d’Hérart-Brocard

 


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A propos de l'écrivain

Melissa Scrivner-Love

 

Melissa Scrivner-Love,trentenaire, habite à Los Angeles et y travaille en tant que scénariste pour les séries US Experts : Miami et Person of Interest. Fille d’un officier de police et d’une greffière, son goût pour le crime s’explique par là. Lola est son premier roman.