Loco, Joël Houssin
Loco, Ed. Ring, 20 septembre 2012, 240 p. 16 €
Ecrivain(s): Joël Houssin« La planète n’était plus qu’un gigantesque mausolée à ciel ouvert de cinq milliards de morts ».
« On ne voyait, en guise d’étoiles, que le ciel de cendres qui crachait de temps à autre toute sa merde noire et radioactive sur la terre, ondées infécondes dont il fallait se protéger pour survivre quelques mois de plus… ».
Un programme fou, la Black Box, a déclenché une catastrophe nucléaire. La planète a été ravagée, elle n’est plus qu’une terre gorgée de sang. Désormais, deux mondes cohabitent. D’un côté les rescapés et de l’autre les contaminés. Les premiers errent dans les paysages dévastés, avec une espérance de vie limitée. On n’y rencontre quasiment jamais de vieillards, et les enfants sont plus que rares. Les seconds sont protégés dans leur bulle, à l’abri de l’atmosphère empoisonnée.
Le monde que décrit Joël Houssin pourrait être le monde de demain. C’est peut-être déjà celui que nous connaissons aujourd’hui, dans une métaphore à peine voilée. Deux classes antagonistes, une autre forme d’apartheid. D’un côté les gens en bonne santé, de l’autre les contaminés. Aucun terrain d’entente n’est et ne sera possible. Les uns ne peuvent aller dans le monde des autres sans se faire contaminer. Les autres sont exterminés s’ils tentent de s’infiltrer dans le monde protégé.
Certains gens sains s’aventurent malgré tout de leur plein gré dans le monde contaminé, pour être contaminés à leur tour. Ils en ont assez de vivre sans que rien ne puisse leur arriver, comme si la vie avait perdu toute sa saveur du fait de son absence de danger. C’est « la pulsion de mort du peuple sain».
Le message de Joël Houssin est clairement politique et il a le bon goût de ne pas nous faire la leçon dessus. Il se contente de décrire ce monde et laisse au lecteur d’avoir ses interprétations, mais en lançant quelques petits clins d’œil ici et là.
« Les contaminés n’en sont encore qu’à nous jeter des cailloux ».
Le livre commence à la manière d’un roman d’apprentissage en suivant le destin d’un gamin de treize ou quatorze ans, Giro. Rapidement, une surprise survient. Celui qui se présentait comme le héros du récit est tué à la cinquantième page. En ayant recours à ce procédé qui rappelle le Psychose d’Hitchcock ou plus récemment des séries comme 24 ou Lost, Joël Houssin rend bien compte de l’incertitude du monde qu’il a créé, de son caractère chaotique. Chacun peut mourir à tout moment. Le lecteur perd ses certitudes. Il sait qu’il va être malmené.
Il n’y a plus de héros au sens « ancien » du terme. Conséquence, la notion de méchants et de gentils doit être redéfinie. Le livre ne se résume pas à un combat manichéen entre les gentils préservés et les méchants contaminés à la mode zombie. A l’inverse, il ne met pas non plus en scène des gentils irradiés, des pauvres victimes, face aux méchants dans leur tour d’ivoire. Tout le monde est pourri et personne n’est là pour rattraper l’autre.
Le roman monte peu à peu jusqu’à l’attendue explosion finale. Malheureusement, le concentré « 240 pages de nitroglycérine » annoncé sur la couverture s’étiole quelque peu, surtout lorsque le récit bascule franchement dans le fantastique dans les dernières pages. Alors qu’il se tenait jusque-là dans l’anticipation, tendance Mad Max 2, il franchit une frontière mais perd aussi son fil conducteur.
On pourra aussi regretter que, pour rendre compte d’un monde apocalyptique, l’auteur n’explore pas toutes les facettes de la violence. S’il est habile dans l’action, il manque un petit quelque chose dans le ressenti physique, pour créer un malaise chez le lecteur, l’immerger véritablement dans cette terre de souffrance.
Yann Suty
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