Les Moucherons, Thierry Clech (par Claire Fourier)
Les Moucherons, Thierry Clech, Éditions Tinbad, septembre 2025
Edition: Tinbad
Voici, menées au pas de course alternant avec la sinuosité d’un fleuve pas très tranquille, les mésaventures d’un photographe qui a marié le cancer et une invasion de moucherons chez lui, au moment où sévissait le covid.
Quatre mots-clés donc : photographe, moucherons, covid, cancer. Plus le temps, toujours le temps.
Photographe, car c’est avec l’œil précis d’un Leica et la recherche du meilleur angle qu’est analysée une ribambelle de misères, les unes dérisoires, les autres en passe d’être mortelles ;
le souci de la qualité de la prise l’emportant sur l’accablement, ce qui réjouit le lecteur, lequel, cruel, demande toujours à un auteur de traiter avec humour les malheurs qu’il a lui-même quelque jour endurés, les traumatismes qu’il subit, ne permettant pas au livre d’en rajouter.
On passe ainsi, en courts chapitres, et dans une langue spiralée, d’un désastre à l’autre : moucherons, ganglion, biopsie, cancer, cornée abîmée, ulcérations diverses, examens multiples, angoisse des résultats – revers qui prolifèrent, s’entrelacent et vibrionnent tel le moustique que le narrateur s’évertue à chasser dans un ballet digne d’un derviche tourneur, le stylo remplaçant la tapette, et la lutte se compliquant encore du fait d’un refus entêté de se faire vacciner contre le Covid.
Traités avec humour (a posteriori), les cataclysmes et idées noires s’incorporent au livre après s’être incorporés au narrateur, dans une étonnante concordance et une métaphore bellement filée qui font les délices du lecteur, lequel retrouve peu ou prou l’écho des infortunes et de la détresse qui furent siennes un jour.
Le narrateur ainsi « en a sa claque » des soins en tout genre et du médecin qui lui dit à l’hôpital : « Vous avez compris ce que vous faites ici ? » Las ! Non, il n’a pas compris, pas plus que le médecin peut-être et nous, pauvres de nous, quand nous affrontons dans la détresse le milieu hospitalier. Il en a sa claque de se demander ce qu’il fout là, « ce qu’on fout tous depuis la nuit des temps à s’agiter en attendant la mort » ; sa claque de se demander « si on guérit d’une maladie quand on ne lui laisse pas le temps de nous guérir » ; sa claque de voir revenir à son esprit, dans les salles d’attente, le tunnel du métro ou de l’IRM, « la ritournelle philosophique de la prééminence du corps ou de l’âme » …
Mais au bout du compte, il songe que le dépérissement du corps mis d’une certaine manière « à l’abri dans le refuge de la maladie » favorise peut-être l’épanouissement de l’âme, l’extension de la conscience.
Et il se dit que ses misères et l’adversité lui auront permis « d’apprendre qui il est ».
À la fin du livre (et la période de soins terminée), le narrateur-photographe s’en va en Estonie. Là, il nous donne à voir, en des pages de haute poésie, un lumineux paysage baigné de flocons de neige, où le ciel, la mer, la terre se fondent, où l’adversité lentement s’abolit dans un silence et une délicatesse – qui n’ont d’égales que l’extrême sensibilité de l’écrivain et sa rêverie face à « la ligne inatteignable de l’horizon ».
« L’air était doux », dit-il. Le livre aussi nous est doux.
Claire Fourier
- Vu : 317

