Les mondes de Colette / Catalogue d’exposition sous la direction d’Emilie Bouvard, Julien Dimerman et Laurence Le Bras (par Charles Duttine)
Les mondes de Colette / Catalogue d’exposition sous la direction d’Emilie Bouvard, Julien Dimerman et Laurence Le Bras / Gallimard BNF / Septembre 2025 / 240 pages / 35€
Ecrivain(s): Colette Edition: Gallimard
La vagabonde insaisissable
On célèbre beaucoup Colette, ces derniers temps. On a fêté les cent cinquante ans de sa naissance, il y a peu ; des colloques ont été organisés ; elle est au programme officiel des lycéens et une exposition à la BNF lui est actuellement consacrée. Elle fut pourtant oubliée à une époque où l’on privilégiait le roman dit « nouveau » et « l’aventure d’une écriture » selon l’expression bien connue de Ricardou. Après cet oubli, le monde de Colette nous revient, à juste titre, sur le devant la scène.
La BNF François Mitterrand organise donc une grande exposition sur Colette. Elle rassemble plus de 300 pièces et met l’accent sur la diversité de cette autrice à la riche personnalité. Le catalogue de l’exposition dirigée par Emilie Bouvard, Julien Dimerman et Laurence Le Bras reflète cette variété.
On y découvre la figure d’une bourguignonne, une petite fille en son jardin, attachée à un village, une maison, et attenante la figure de la mère, cette Sido qu’elle considérait comme « le personnage principal de toute (s)a vie ». On y retrouve encore l’amoureuse des animaux avec lesquels elle entretenait une relation rare et qu’elle a si bien évoqués. On y rencontre surtout une femme libre, « une femme nouvelle » soucieuse de son indépendance et qui sut écouter ses désirs et suivre l’inclination de sa sensualité. On y trouve également la Colette journaliste, actrice de music-hall mais surtout l’écrivaine. Une figure aux multiples visages qui ne cesse de nous interroger. L’intérêt du catalogue est d’évoquer toutes ces vies multiples que Colette a pu connaître et d’offrir à des personnalités très diverses leur regard sur l’autrice, de Julia Kristeva à Mathieu Amalric jusqu’à Anne de Jouvenel, petite nièce de Colette.
Plusieurs articles de ce catalogue parlent de l’écrivaine, ce qui nous intéresse principalement, de sa manière d’écrire et du ton qui était le sien. On y apprend qu’elle a longtemps écrit sur des cahiers d’écolière, manière de se contraindre et de répondre aux commandes qu’on lui faisait. « Il m’avait fallu retrouver les mêmes cahiers que j’avais à l’école, parce que sans ça, je n’aurais jamais pu écrire » confiait-t-elle dans « Mes vérités ». On apprend également que l’écriture était une épreuve pour elle, qu’elle raturait beaucoup, qu’elle « déchirait ». On est frappé surtout en la lisant par cette recherche de l’exactitude, son goût du détail précis, celui du mot juste. Il y a chez elle, comme chez beaucoup d’auteurs de textes courts une écriture à la serpe, et beaucoup de ses textes relèvent du court, chaque chapitre dans un livre étant comme une nouvelle ; on élimine, on ne garde que l’essentiel, on conserve ce qui est le plus juste et le plus sincère. « Écrire ! verser avec rage toute la sincérité de soi sur le papier tentateur » faisait-elle dire à l’un de ses personnages dans « la Vagabonde ». Que peut-on encore admirer chez cette femme de lettres ? L’amour de la langue maternelle (au sens premier du terme), un style classique, fluide, lipide, avec le charme des imparfaits du subjonctif et où l’on sent la jouissance et le plaisir du texte.
Reste à cerner son sujet de prédilection. Pour certains contributeurs, il s’agit de l’amour, surtout pas le chagrin qu’elle « réprime » selon le mot de Julia Kristeva, ni la mélancolie, encore moins la douleur. L’amour en son corps puisqu’il n’y a « pas de langage sans corps » suivant l’affirmation de Roland Barthes ; le corps amoureux devient l’un des personnages principaux de ses romans, celui qui désire, vit le plaisir, se laisse aller à la domination des sens, ces « seigneurs intraitables » comme elle l’écrivait. D’autres contributeurs mettent l’accent sur l’intrication profonde entre son écriture et sa vie. Dans beaucoup de ses textes, la protagoniste du roman n’est autre que l’autrice et bon nombre ont eu l’idée de faire naître l’autofiction, entre autres, avec Colette. « Dans (s)es romans, contrairement à ce que l’on peut observer chez un Balzac ou un Zola il n’y a que Colette, c’est assez clair » soulignait Julien Gracq. Une écriture du moi qui n’occulte pas la complexité du sujet où il entre une part de lucidité, de dissimulation et d’incertitude et où il est difficile de distinguer entre « ce que je sais de moi, ce que j’essaie d’en cacher, ce que j’invente et ce que j’en devine » indique-t-elle malicieusement dans « La Naissance du jour ».
En parcourant ce bel ouvrage qui invite à se rendre à la BNF et à l’exposition qui lui est consacré, et surtout à lire ou relire ses textes, il reste l’image d’une femme multiple, complexe, labyrinthique, semblable à ses vrilles de vigne, tortueuses et élégantes qu’elle a su si bien évoquer. En voyant tous les mondes qu’elle a fréquentés et qu’elle a retracés dans ses lignes, on se dit qu’elle fut une vagabonde dans son temps, profondément insaisissable.
Charles Duttine
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