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Les mondes de Colette / Catalogue d’exposition sous la direction d’Emilie Bouvard, Julien Dimerman et Laurence Le Bras (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine 12.11.25 dans La Une Livres, Albums, Les Livres, Critiques, Arts, Gallimard

Les mondes de Colette / Catalogue d’exposition sous la direction d’Emilie Bouvard, Julien Dimerman et Laurence Le Bras / Gallimard BNF / Septembre 2025 / 240 pages / 35€

Ecrivain(s): Colette Edition: Gallimard

Les mondes de Colette / Catalogue d’exposition sous la direction d’Emilie Bouvard, Julien Dimerman et Laurence Le Bras (par Charles Duttine)

La vagabonde insaisissable

On célèbre beaucoup Colette, ces derniers temps. On a fêté les cent cinquante ans de sa naissance, il y a peu ; des colloques ont été organisés ; elle est au programme officiel des lycéens et une exposition à la BNF lui est actuellement consacrée. Elle fut pourtant oubliée à une époque où l’on privilégiait le roman dit « nouveau » et « l’aventure d’une écriture » selon l’expression bien connue de Ricardou. Après cet oubli, le monde de Colette nous revient, à juste titre, sur le devant la scène.

La BNF François Mitterrand organise donc une grande exposition sur Colette. Elle rassemble plus de 300 pièces et met l’accent sur la diversité de cette autrice à la riche personnalité. Le catalogue de l’exposition dirigée par Emilie Bouvard, Julien Dimerman et Laurence Le Bras reflète cette variété.

On y découvre la figure d’une bourguignonne, une petite fille en son jardin, attachée à un village, une maison, et attenante la figure de la mère, cette Sido qu’elle considérait comme « le personnage principal de toute (s)a vie ». On y retrouve encore l’amoureuse des animaux avec lesquels elle entretenait une relation rare et qu’elle a si bien évoqués. On y rencontre surtout une femme libre, « une femme nouvelle » soucieuse de son indépendance et qui sut écouter ses désirs et suivre l’inclination de sa sensualité. On y trouve également la Colette journaliste, actrice de music-hall mais surtout l’écrivaine. Une figure aux multiples visages qui ne cesse de nous interroger. L’intérêt du catalogue est d’évoquer toutes ces vies multiples que Colette a pu connaître et d’offrir à des personnalités très diverses leur regard sur l’autrice, de Julia Kristeva à Mathieu Amalric jusqu’à Anne de Jouvenel, petite nièce de Colette.

Plusieurs articles de ce catalogue parlent de l’écrivaine, ce qui nous intéresse principalement, de sa manière d’écrire et du ton qui était le sien. On y apprend qu’elle a longtemps écrit sur des cahiers d’écolière, manière de se contraindre et de répondre aux commandes qu’on lui faisait. « Il m’avait fallu retrouver les mêmes cahiers que j’avais à l’école, parce que sans ça, je n’aurais jamais pu écrire » confiait-t-elle dans « Mes vérités ». On apprend également que l’écriture était une épreuve pour elle, qu’elle raturait beaucoup, qu’elle « déchirait ». On est frappé surtout en la lisant par cette recherche de l’exactitude, son goût du détail précis, celui du mot juste. Il y a chez elle, comme chez beaucoup d’auteurs de textes courts une écriture à la serpe, et beaucoup de ses textes relèvent du court, chaque chapitre dans un livre étant comme une nouvelle ; on élimine, on ne garde que l’essentiel, on conserve ce qui est le plus juste et le plus sincère. « Écrire ! verser avec rage toute la sincérité de soi sur le papier tentateur » faisait-elle dire à l’un de ses personnages dans « la Vagabonde ». Que peut-on encore admirer chez cette femme de lettres ?  L’amour de la langue maternelle (au sens premier du terme), un style classique, fluide, lipide, avec le charme des imparfaits du subjonctif et où l’on sent la jouissance et le plaisir du texte.

Reste à cerner son sujet de prédilection. Pour certains contributeurs, il s’agit de l’amour, surtout pas le chagrin qu’elle « réprime » selon le mot de Julia Kristeva, ni la mélancolie, encore moins la douleur. L’amour en son corps puisqu’il n’y a « pas de langage sans corps » suivant l’affirmation de Roland Barthes ; le corps amoureux devient l’un des personnages principaux de ses romans, celui qui désire, vit le plaisir, se laisse aller à la domination des sens, ces « seigneurs intraitables » comme elle l’écrivait. D’autres contributeurs mettent l’accent sur l’intrication profonde entre son écriture et sa vie. Dans beaucoup de ses textes, la protagoniste du roman n’est autre que l’autrice et bon nombre ont eu l’idée de faire naître l’autofiction, entre autres, avec Colette. « Dans (s)es romans, contrairement à ce que l’on peut observer chez un Balzac ou un Zola il n’y a que Colette, c’est assez clair » soulignait Julien Gracq. Une écriture du moi qui n’occulte pas la complexité du sujet où il entre une part de lucidité, de dissimulation et d’incertitude et où il est difficile de distinguer entre « ce que je sais de moi, ce que j’essaie d’en cacher, ce que j’invente et ce que j’en devine » indique-t-elle malicieusement dans « La Naissance du jour ».

En parcourant ce bel ouvrage qui invite à se rendre à la BNF et à l’exposition qui lui est consacré, et surtout à lire ou relire ses textes, il reste l’image d’une femme multiple, complexe, labyrinthique, semblable à ses vrilles de vigne, tortueuses et élégantes qu’elle a su si bien évoquer. En voyant tous les mondes qu’elle a fréquentés et qu’elle a retracés dans ses lignes, on se dit qu’elle fut une vagabonde dans son temps, profondément insaisissable.

 

Charles Duttine



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A propos de l'écrivain

Colette

 

Colette, nom de plume de Sidonie-Gabrielle Colette, née le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne) et morte le 3 août 1954 à Paris, est une romancière française. Après Judith Gautier en 1910, Colette est la deuxième femme élue membre de l’Académie Goncourt en 1945. Elle en est également la première femme présidente entre 1949 et 1954. Adolescente, Colette rencontre Henry-Gauthier Villars, surnommé Willy, avec qui elle se marie. Il introduit Colette dans les cercles littéraires et musicaux de la capitale où la jeune femme fait sensation. Vite saisi par les dons d’écriture de sa jeune épouse, Willy l’utilise elle aussi comme nègre littéraire (le premier manuscrit de Colette date de 1893) puis dès 1895 l’engage à écrire ses souvenirs d’école, qu’il signe de son seul nom. On compte parmi ces écrits la série des Claudine : Claudine à l’école, bientôt suivi de La Maison de Claudine, Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudine s’en va, publiés sous le nom du seul Willy. En 1905 elle publie le premier livre sous son nom de Colette Willy, Dialogues de bêtes. Encouragée par le comédien et mime Georges Wague (1874-1965), elle commence alors une carrière au music-hall (1906-1912), où elle présente des pantomimes orientales. Par la suite elle se produit au théâtre Marigny, au Moulin Rouge, au Bataclan, ou en province (ces spectacles transparaîtront dans La Vagabonde ou L’envers du music-hall). Après son divorce, Colette a une brève liaison avec Auguste-Olympe Hériot, rencontré à la fin de 1909. Puis elle fait la connaissance de Henry de Jouvenel, politicien et journaliste, qu’elle épouse en 1912 et qui l’engage à donner quelques billets et reportages au Journal Le Matin dont il est le rédacteur en chef. De lui, à Castel Novel de Varetz (Corrèze), elle aura sa seule enfant, Colette Renée de Jouvenel, dite « Bel-Gazou ». En 1945 Colette est élue à l’unanimité à l’Académie Goncourt dont elle devient présidente en 1949. Ayant vitre compris que la célébrité passe par la maîtrise de son image, elle devient l’écrivain la plus photographiée du 20e siècle. Les Œuvres complètes de Colette sont publiées en quinze volumes par la maison d’édition Le Fleuron, créée par Maurice Goudeket. Elle meurt le 3 août 1954. En dépit de sa réputation sulfureuse et du refus par l’Eglise catholique d’un enterrement religieux, Colette est la première femme à laquelle la République ait accordé des obsèques nationales. Elle est enterrée au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Sa fille repose à ses côtés.

 

A propos du rédacteur

Charles Duttine

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Charles Duttine enseigne les lettres et la philosophie, après avoir étudié à la Sorbonne où il fut notamment élève d’Emmanuel Levinas. Auteur de nombreux récits courts, dont Douze Cordes (Prix Jazz en Velay, 2015), il a publié deux recueils de nouvelles, Folklore, Au Regard des Bêtes et un récit romanesque Henri Beyle et son curieux tourment.

Son dernier ouvrage (deux novellas) L’ivresse de l’eau suivi par De l’art d’être un souillon vient de paraître aux Editions Douro. Il publie régulièrement dans de nombreuses revues littéraires.