Les Justes face au génocide arménien, Hilda Kalfayan-Panossian (par Guy Donikian)
Les Justes face au génocide arménien, Hilda Kalfayan-Panossian, Editions Kirk Publishing 2024, 419 pages, 30 €

Cet ouvrage est un hommage à tous ceux qui ont secouru, aidé, sauvé de la mort des Arméniens que le gouvernement Jeune-Turc vouait à la mort en 1915. Elles et ils furent nombreux à vouer leur énergie dans le cadre de missions humanitaires, mettant parfois leur vie en danger. Ce furent, nous le verrons, des Européens, mais aussi des Américains et des Turcs.
Hilda Kazlakayan-Panossian consacre le premier chapitre de son livre à un bref historique de l’Arménie, qui resitue les conditions dans lesquelles le génocide de 1915 fut commis, rappelant les atrocités dont on peine à croire qu’elles aient pu être le fait d’êtres humains. Les témoignages de plusieurs des Justes décriront eux aussi les abominations subies par les hommes, mais aussi par les femmes (violées bien entendu, mais aussi brûlées vives) et par les enfants quand ils ne furent pas enlevés pour servir d’esclaves après avoir été « turquifiés », ou noyés deux par deux après avoir été ligotés, un 24 mai 1916 au bord de l’Euphrate ou encore brûlés vifs…
Le chapitre suivant est intitulé Jugements des tribunaux où l’on retrouve le procès de Téhlirian qui a assassiné Talaat Pacha, ministre de l’intérieur en 1915 et qui fut le maître d’œuvre du génocide. Rappelons que Soghomon Téhlirian fut acquitté et que ce procès fut finalement celui de la « victime », en raison des atrocités qu’il fit commettre.
C’est au chapitre suivant que sont recensés « les sauveteurs et missionnaires sur le terrain ». Là, deux constats s’imposent ; tout d’abord ils furent nombreux à vouloir sauver des Arméniens, et en second lieu ils étaient originaires de l’Europe comme des États-Unis. Par ailleurs, nombre d’entre eux furent présents avant 1915, en raison des massacres perpétrés en 1894-1896 et en 1909 entre autres.
Ce fut le cas de Katharina Bjorn, une Norvégienne qui porta secours aux veuves et aux enfants rescapés des massacres d’Adana en 1909.Concernant le génocide de 1915, citons cette missionnaire estonienne, Anna Hedwig Bull qui fut un témoin direct du génocide en Cilicie. « Elle sauva des milliers d’orphelins et de femmes alors que Marach s’était transformée en une ville d’orphelins.
Jules Chaperon était un prêtre catholique français. C’est en tant qu’aumônier qu’il se mit au service des rescapés arméniens en Cilicie dans les villes de Marachj, Katma, Ourfa...Ses carnets personnels recèlent des détails essentiels sur les atrocités commises, publiés sous le titre « Le journal de l’abbé Chaperon, un aumônier militaire français témoin du drame arménien ».
Citons encore Ernst Jacob Christoffel, originaire de Rhénanie qui intervint dans une mission à Malatya où il fonda dès 1909 un refuge pour aveugles, « Bethesda ». Son action à partir de 1916 permit de sauver près de mille femmes et enfants. Il écrivit alors : « Ce qu’on a fait et fait encore au peuple arménien est sans doute le plus grand crime de l’histoire universelle. » Il publie en 1921, à Berlin, un texte intitulé « Venant des sombres profondeurs » dans lequel il relate des horreurs dont il fut le témoin.
On ne peut pas ne pas citer aussi l’amiral Dartige du Fournet qui fut à l’œuvre pour sauver plus de 4000 Arméniens réfugiés dans les contreforts du Musa Dagh (Mont Moïse). C’est parce que l’amiral désobéit en quelque sorte aux ordres trop tardifs que, en septembre 1915, 4058 personnes furent sauvées dont 1563 enfants, embarquées sur des navires français. Ce sauvetage a été l’objet d’un roman écrit par Franz Werfel intitulé « les 40 jours du Musa Dagh » édité chez Albin Michel.
Ce ne sont là que quelques exemples de ces Justes qui sauvèrent beaucoup d’Arméniens, le livre les répertorie en mentionnant également les propos tenus ou publiés qui soulignent de façon incontestable que ce génocide fut minutieusement préparé.
« Dénonciateurs, accusateurs politiques, témoignages divers » est le chapitre qui démontre que la cause arménienne fut défendue par des politiques dont on n’attendait peut-être pas un tel engagement. Ce fut le cas de Mevlanzade Rifat qui fut membre exécutif des Jeunes-Turcs. Il entre en opposition ouverte avec le gouvernement à cause des massacres d’Adana en 1909. Il publiera un livre « Les côtés sombre de le révolution Jeunes-Turcs » dans lequel « il décrit et critique les massacres d’Adana ».
D’autres, plus connus, se sont engagés en prenant des positions très nettes contre le régime turc. En France ce fut le discours de Jean Jaurès, publié sous le titre « il faut sauver les Arméniens ». Fridtjof Nansen fit établir les passeports du même nom et put sauver des vies. Sans oublier, mais ils sont nombreux, Henry Morgenthau, Arnold J. Toynbee et d’autres.
Guy Donikian
Hilda Kalfayan-Panossian est docteur en psychologie, arménologue, linguiste et poète.
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