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Les eaux troubles du mojito, Philippe Delerm

Ecrit par Victoire NGuyen 19.08.15 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Nouvelles, Seuil

Les eaux troubles du mojito, août 2015, 110 pages, 14,50 €

Edition: Seuil

Les eaux troubles du mojito, Philippe Delerm

 

Impressions fugaces

La prose de Philippe Delerm relève d’une volonté particulière de s’intéresser à des instants de vie. Dans cet opus d’une poésie manifeste, l’auteur offre à son lecteur un vrai plaisir de lecture. En effet, Les eaux troubles du mojito est un ouvrage qui condense quarante deux récits très brefs à la thématique surprenante et teintée de la couleur de l’été. L’approche de Philippe Delerm est originale à plus d’un titre. D’abord, il valorise les petites choses de la vie quotidienne en objets littéraires. Ainsi, la pastèque se voit le protagoniste d’un récit de deux pages dans lequel ses qualités gustatives et sa couleur « rouge-rose » à « la solide écorce vert profond » sont mises en valeur. Il y a aussi ce petit navet qu’on oublie tant de citer ! L’auteur, quant à lui, s’y intéresse et lui redonne de la noblesse. Ecoutons son chant sur le navet, le mal-aimé :

« Il est toujours le parent pauvre, réduit à quelques unités précieuses et menacées. Couronné de mauve, il avait un petit côté vieillot et rondouillard, idéalement conçu pour l’idée de la soupe. Mais passé à l’épreuve de l’épluche-légumes, il a gagné une blancheur immaculée… »

On se surprend à sourire en parcourant les descriptions de Philippe Delerm. On devine l’auteur, en Sherlock Holmes, muni de sa loupe à la recherche de la fine particule du petit monde des légumes et fruits si communs, allongés sur les étals colorés des marchands. Et c’est ici que réside l’autre façade de l’originalité de Philippe Delerm. Par le choix de ses motifs littéraires, Les eaux troubles du mojito donne place aux simples et aux humbles. Il évoque aussi bien l’univers secret des végétaux, des plantes et fruits mais aussi des liqueurs qui une fois le palais humecté laissent entrevoir des mondes étranges et insolites.

« Le mojito, c’est à la fois opaque et transparent. Dans les verts, bien sûr, mais dans les noirs aussi, avec des zones un peu plus claires à la surface et des mystères insondables tout au fond de l’apnée. On y trempe les lèvres, surpris de cette fraîcheur qui sait prendre les oripeaux d’une moiteur de marigot ».

Ainsi la nouvelle – titre décrit – a le pouvoir du mojito de faire jaillir des mondes imaginaires, cristalliser des souvenirs qui viennent. Comme la madeleine de Proust, peut-on évoquer le mojito de Delerm ? Pareil à un peintre, l’auteur collectionne les motifs d’étude, il trace des esquisses et offre aux lecteurs des croquis littéraires où l’instant présent saisi sur le vif est porté à son paroxysme en terme d’intensité sensorielle. Oui, les nouvelles composées ici sont des expérimentations, des moments qui consentent à ce que l’artiste les saisisse pour les rendre immortels. Les impressions, les amitiés célébrées sous le grand arbre réconfortant des soirs d’été et les souvenirs de voyages sont salués car ils constituent par petites touches la toile de notre vie. Ils rendent compte du bonheur récolté quant bien même le moment est fugace car rien ne dure sinon l’instant vécu.

Les eaux troubles du mojito est un ouvrage précieux de cette rentrée littéraire 2015. Il parle non à notre raison mercantile, non à notre ego mais à nos émotions simples, sans artifices ni superficialité.

« (…) pour profiter vraiment du soir d’été, il faut que vienne au cœur l’idée de sa fragilité, la sensation qu’on le vit pour la dernière fois. J’ai fait une salade de fruits pour le dessert. Allumons une cigarette. Souvenons-nous du présent. Vivre dans le présent. Avec le sentiment que c’est presque impossible ».

 

Victoire Nguyen

 


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A propos du rédacteur

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.