Les dieux cachés, Olivier Maillart (par Théo Ananissoh)
Les dieux cachés, janvier 2019, 159 pages, 16,90 €
Ecrivain(s): Olivier Maillart Edition: Les éditions du Rocher
Une écriture finement enjouée, deux occurrences de Tintin, la présence de deux chiens dont le narrateur rapporte les « pensées » et les « dialogues », quelques autres personnages tout à fait excentriques dans leur apparence, des lettres anonymes, de petites annonces sibyllines dans le journal local, des rituels très secrets et bien d’autres « ingrédients » qui nous rappellent nos lectures de l’adolescence font penser à un pastiche des romans et albums pour la jeunesse. Erreur. Ou plutôt, si, il y a comme un exercice de cette sorte qui transcende le genre. Et le plaisir de la lecture est précisément dans ce dépassement raffiné qui plonge le lecteur dans quelque chose de familier, d’ingénu presque mais qui est en même temps autre, une simplicité apparente du récit que parsèment pourtant de petits cailloux d’indice d’un second propos discrètement érudit. Les dieux et les sectes qui les honorent sont cachés, et le récit qui énonce tout cela n’est pas complètement à ciel ouvert.
Ça se passe à « Naouaqueville, un des faubourgs d’Hirocherbourg, sous-préfecture de la Manche » ; une ville « battue par la pluie et les vents ». Henri R., prof de philosophie au lycée, voit sa compétence professionnelle soudain remise en cause à coups de graffitis tracés sur des murs à travers la ville. Henri R. n’est pas un enseignant débutant ; il a trente-quatre ans d’expérience, il est agrégé et bien noté par la hiérarchie comme on dit. Il en faudrait plus pour le déconcerter. Il pense à une mauvaise plaisanterie de la part d’un ancien élève. Mais aux graffitis s’ajoute bientôt une lettre anonyme tout aussi calomniatrice. Ses collègues, inquiets, lui conseillent de porter plainte. Henri R. s’y refuse.
« J’habite un port d’où sont partis tant d’hommes courageux, dans des conditions inimaginables pour nous aujourd’hui, tandis que moi, j’ai le sentiment de n’avoir rien vécu de tel. Peu m’importe dans le fond à qui j’ai affaire. Ils (ah, rien qu’à prononcer ce “ils”, j’avoue que je jubile un peu !) sont masqués, ils sont dans l’ombre, derrière le rideau, et ils chuchotent des paroles dont les quelques bribes qui sont parvenues jusqu’à moi suffisent à éveiller mon attention. Ainsi je crois… je crois bien que je vais jouer leur jeu. Je ne vais pas prévenir la police. Je vais répondre à la lettre ».
La lettre et les graffitis anonymes qui accusent Henri R. ne sont pas les seuls actes étranges qui surviennent soudain dans la paix automnale d’Hirocherbourg. Une de ses jeunes collègues échappe de peu à un enlèvement au cours d’une promenade. Une élève du lycée disparaît en sortant d’une soirée… Hirocherbourg est paisible en apparence, mais ses nuits venteuses et les recoins de tel parc ou les arrière-salles de tel musée abritent, au fil du récit, d’étranges réunions secrètes… L’habileté d’écriture de ce premier roman est d’articuler sans jamais être en défaut une apparence de simplicité narrative et un nœud d’agissements mystérieux et étranges. Peu importent les lieux, les circonstances, les époques, semble dire Olivier Maillart, toutes les folies au monde ont trouvé et trouveront naissance dans la tête des humains, ce cratère de tous les possibles…
Théo Ananissoh
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