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Le vertige des falaises, Gilles Paris

Ecrit par Martine L. Petauton 19.05.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Plon

Le vertige des falaises, avril 2017, 244 pages, 16,90 €

Ecrivain(s): Gilles Paris Edition: Plon

Le vertige des falaises, Gilles Paris

Du Gilles Paris, de ses beaux romans qu’on connaît : fine plongée dans les ressentis et les mécanismes de ces animaux parfois étranges qui marchent à nos côtés : les enfants. Univers cerné – lieux, familles, amis – à la perfection par une écriture des plus ciselées. Récit-roman, à moins que le contraire, qui ficelle son lecteur pour quelques heures passionnées… Mais, ici, s’ajoute un autre Gilles Paris, qu’il annonce lui-même en postface : « relecture de – la maison biscornue – d’Agatha Christie, où j’ai emprunté le prénom d’Aristide, la digitaline et sans doute un zeste de suspens ». Un autre donc, et puis le même ; que du bonheur pour nous.

Une île dans l’Atlantique. Dessin si propre à l’insulaire de cercles, de ricochets dans l’eau, de monde fermé, emprisonné ? et pour autant ouvert à tous les vents, donc à tous les possibles. On veut imaginer quelque chose du côté des îles anglo-normandes, pas si loin du « Continent » bien qu’au grand large, de fait. On garde le droit de poser ailleurs son imaginaire – aucune géographie ne nous étant imposée – jusqu’en Irlande, en Amérique pourquoi pas : la fille-héroïne ne s’appelle-t-elle pas Marnie « à cause d’un film du gros chauve Hitchcock… mon nom est Marnie de Mortemer. J’ai quatorze ans. Mon pays n’a rien à voir avec celui des Merveilles… J’ai quatorze ans, j’ai cent ans, peu importe, je sais des choses… ».

Lieu où l’on ne vit plus à l’aise ; tout périclite sauf – comme arrêté au bord de ces falaises – le monde de ceux qui s’y sont fixés comme moules au rocher, qui sont décidés à y mourir, et y mourront. Cercles concentriques posés entre lande et mer froide, du vieux médecin bardé de souvenirs-secrets, de la fleuriste vaguement amoureuse d’une autre, d’enfants – niveau Marnie – Jane, l’idéale blonde et bien élevée, réalité ou projection ? Et le garçon – Vincy, le passeur, l’initiateur de « vraie vie » – quand on aura trouvé le temps de grandir.

Comme souvent avec Gilles Paris, les petits s’agitent dans la lumière du projecteur, tandis que le reste de la troupe, notamment adultes, est en fond de scène, théâtre d’ombres à la japonaise. Car – et ce livre n’échappe pas à la règle – les enfants sont pour Gilles Paris dotés de pouvoirs, de lucidité étrange ; ils sont djinns, regardent, comprennent. Combien, d’ailleurs, de mythologies anciennes ou, par exemple Africaines, leur confèrent, elles aussi, ces profils particuliers…

Tout ce monde gravite, presque à bas bruit, autour du cœur nucléaire du récit : la famille de Marnie – enfin ceux avec qui elle vit. On y baigne dans de l’Agatha, un zeste de Hitchcock, un rien sépia des filles Brontë. Un univers de famille dysfonctionnante diraient nos psy en se voilant d’avance la face. Pas ordinaire, sûr, ce groupe familial (plutôt que famille tout court) coulé dans des matériaux venus de la lune – à l’image de la maison « Glass », acier/verre, un peu architecture d’avant garde de la Californie d’antan – Pas commune, la mère adorée mourant à petit feu d’un cancer au fond de sa chambre ; formidablement étonnante la grand-mère Olivia, véritable face B de sa petite-fille, qu’on pourra choisir comme héroïne première, au moment de fermer le livre…

Du Gilles Paris, donc : Une gamine, une grand-mère protectrice. De même, le surprenant manque d’hommes – ils sont en retrait, comme suspendus au-dessus, ou au-delà, du récit de l’enfant. Ici, ils sont morts, les deux hommes toxiques et criminels. Des figures on ne peut plus sombres, mais pas forcément à la première approche : le grand-père, Aristide – celui qui brutalise et violente sa femme – le fils, celui qui profite, bafoue, dépense. Face à eux, les femmes-lumière, la grand-mère, apparemment figure de résilience, mâtinée probablement de résistance souterraine, et la bru, mère de Marnie, toute en charmes et faiblesses, victime posée au-devant de la scène. Entre ces deux déesses antiques, déesses-mères des origines, chacune à sa manière tente de pousser Marnie-la-supposée-sauvageonne, ouverte au large de sa vie future. Adolescente on ne peut plus dans le syndrome du homard, dont parlait la grande Dolto… Dans ce récit, où l’on entend sans cesse vagues et vents, on perçoit à chaque page le craquement de la carapace, et on sent directement sur la peau la douleur en passe de délivrer.

Mais comme Gilles Paris avance au pas d’Agatha, il va falloir s’attendre à jouir en plus des secrets levés, des enquêtes sinueuses, de l’odeur de mystère qui embaume les pages…

Finalement, Le vertige des falaises porte à merveille son nom.

 

Martine L Petauton

 


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A propos de l'écrivain

Gilles Paris

 

Né à Suresnes en 1959, Gilles Paris  est un écrivain français. Son premier roman, Papa et Maman sont morts (Le Seuil, 1991), a été adapté au cinéma, et le suivant, Autobiographie d’une Courgette (Plon, 2001), a été traduit en plusieurs langues et a fait l’objet de plusieurs adaptations, télévisuelle (2007) et cinématographique (2015).

 

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)