Le testament de Nicolas, Bessora
Le testament de Nicolas, La Margouline, septembre 2016, 178 pages, 13 €
Ecrivain(s): Bessora
Le testament de Nicolas est un flux de conscience. C’est au présent, et, parce que même très intimes et silencieuses, nos pensées envisagent une oreille compréhensive et bienveillante, ça s’adresse à une petite sœur – à l’être proche et innocent.
« J’ai dix ans quand tu débarques dans le monde.
C’est drôle, depuis que je n’ai plus peur de mourir, les souvenirs me remontent sans arrêt. (…)
Une nuit, je te donne le biberon. C’est mignon. Tu me regardes avec des yeux angéliques. J’y lis que je suis ton héros ».
Nicolas, dix-sept ans, se raccroche à sa sœur Salomé, dix ans, tout le long du chemin inexorable et vertigineux qui le mène vers… vers quoi ?
« Un jour tu comprendras.
Pourquoi Souleymane est devenu Abou Osmane Al-Quanumi, le Dragon magnifique.
Pourquoi Naïm est devenu Abou Rahal Al-Faransi, le Nomade français.
Pourquoi ton frère est maintenant Abou Tahar Al-Normandy. Le vertueux Normand.
Salomé, je vous aime sans limites : Allah ouvre mon cœur.
Et si je meurs, petite sœur, il ne faut pas que tu pleures ».
Une modeste famille française dans Paris. Un père qui souffre d’un cancer précoce. Il mourra avant la fin du roman. Une maman coiffeuse en CDD. La colonie de vacances bondée chaque été ou presque pour Nicolas. Il y fait du reste les premières rencontres qui peu à peu canalisent son insatisfaction générale d’adolescent vers l’islamisme militant puis le djihad au Proche-Orient.
Le roman de Bessora est minutieux, précis, sobre. On part pour le brasier de la Syrie en avion de Paris via Francfort et Antalaya en Turquie. Nicolas, alias Nasrallah, s’explique à sa sœur le long de son itinéraire. Il lui dit chaque étape irrémédiable qu’il franchit. Il partage avec elle ses surprises, ses doutes, la défaillance discrète de ses convictions face à ce qu’il découvre. Nicolas, une fois sur le territoire du djihad, au milieu de beaucoup d’autres filles et garçons en provenance de différents pays d’Europe occidentale, commence la seconde et brillante séquence qui fait réellement le roman. Bessora rassemble dans une sorte de no man’s land des instructeurs rescapés des multiples conflits de la région ou réchappés d’affreuses geôles et de jeunes Européens aux origines familiales et sociales désaxées. Elle déploie un art admirable pour conter cette atroce situation de violences et d’impasse indiscutable pour tous. Croyant s’échapper d’un lieu de naissance sans issue ou d’un environnement social étouffant, ces jeunes êtres butent ici contre une fin d’horizon impitoyable que les réseaux sociaux dans lesquels ils s’absorbent ne parviennent pas à atténuer imaginairement. Adressé en pensée à sa jeune sœur, le récit de Nicolas, tout en décrivant un tableau d’ensemble, reste intime et expressif d’une âme désemparée.
« Du mal à marcher.
Mon corps était mort, il faut renaître.
Dans les pas de l’émir, je monte au jour.
Lointaine, j’entends la voix d’Abou Djafar :
Qui devrait être contre les ordres d’Allah ? Qui refuserait le paradis ! (…)
Lumière pique, brûle, fait pleurer.
Je vois le monde comme un nouveau-né.
Trouble ».
A l’avant-dernier chapitre intitulé Absorber les ténèbres, le lecteur comprend que tout le récit de Bessora est une montée poétique ; vers une saisissante vue sur l’absurde.
Théo Ananissoh
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