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Le Syndrome du varan, Justine Niogret (par Christelle d'hérart-Brocard)

11.09.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Seuil

Le Syndrome du varan, mai 2018, 220 pages, 16 €

Ecrivain(s): Justine Niogret Edition: Seuil

Le Syndrome du varan, Justine Niogret (par Christelle d'hérart-Brocard)

 

 

Ceux et celles qui sont familiers de l’univers romanesque de Justine Niogret ne manqueront pas de s’étonner à la lecture du Syndrome du varan qui, réaliste à l’extrême, tranche radicalement avec le genre de la fantasy. Ils s’accorderont aussi, sans doute, à reconnaître les indéniables qualités littéraires de l’auteure. Cela étant dit, quid de ce roman détonnant ? Car il s’agit bien là d’un récit qui se veut sinon excessivement provocant, du moins fortement dérangeant. En tout premier lieu, c’est l’écriture crue et choquante qui fait saillie dès les toutes premières pages et qui reste irrévérencieuse jusqu’à la dernière ligne. « Pute », « bite », « con », « merde », « poil de cul », « faire chier », « bordel de merde » et « esprit de chiotte » ne représentent qu’un tout petit échantillon du champ lexical coloré qui rythme et scande le récit. A cela s’ajoute, très logiquement, une syntaxe grammaticale plutôt simple, voire parfois relâchée.

Mais c’est ensuite et surtout le point de vue extrême de la narratrice qui accapare pleinement l’attention du lecteur : blessée à vif dès sa plus tendre enfance par des parents affublés des pires tares de l’espèce humaine (un père paumé, alcoolique et pédophile, une mère sadique et particulièrement perverse), elle crache littéralement toute sa haine sur ses géniteurs, mais à plusieurs reprises, s’en prend aussi à la société qui, selon elle, non seulement laisserait agir en toute liberté les plus abjects agresseurs, mais aurait par ailleurs davantage d’empathie pour les bourreaux que pour leurs victimes. Il n’est pas forcément aisé d’adhérer à ce cri de colère monstrueux qui s’étale sur plus de 200 pages, d’autant plus que la narratrice n’essaie guère de gagner la sympathie ou même la compassion du lecteur. Au contraire, ce dernier pourrait presque se sentir visé par cette diatribe peu nuancée, qui généralise, caricature et porte un jugement sévère sur les différents types d’humains toxiques et délétères qui pulluleraient impunément dans notre société.

Pour apprécier ce roman à sa juste valeur, il semble donc nécessaire de « faire un pas de côté » et d’envisager à distance le témoignage brut d’une jeune femme déchargeant ses émotions les plus douloureuses et indicibles, non pas chez un psychologue mais dans les pages d’un roman. Car même si la narratrice s’en défend, l’écriture revêt ici tous les aspects d’une démarche introspective propre à la catharsis. Il sera dès lors plus facile d’accepter, sinon de tolérer, le langage grossier et la chronologie quelque peu chaotique, et finalement de saisir que le syndrome du varan décrit par l’intéressée équivaut à bien des égards à un syndrome de stress post-traumatique. Aussi faut-il sans doute se focaliser essentiellement sur le cheminement de l’écriture et sa fonction cathartique, sans toutefois faire l’impasse sur sa thématique et son caractère dramatique. Dans cette optique particulière, les prises de positions extrêmes, les assertions virulentes et les incartades langagières prennent tout leur sens, supportant de façon naturelle le syndrome du varan inventé par l’auteure, qui se construit et s’enrichit tout au long du récit :

« Mes parents voulaient que j’en sois un [un varan]. C’était leur but. Ils voulaient casser mon radar, mon radar à cons, et quand on casse un radar, on devient un varan. On ne réagit plus. On laisse pisser sur soi, on laisse faire, on reste immuable, stoïque. On ne sait plus se mettre à l’abri. J’en avais chialé, à douze ans, en découvrant ce môme spartiate qui s’était fait bouffer les tripes par un renard, sans rien dire, sans se plaindre. J’en avais chialé. Je ne m’étais pas rendu compte que je vivais la même chose. J’avais trouvé son geste héroïque alors qu’il était monstrueux ».

« Les varans ne partent pas, ne font pas partir ; les varans n’osent pas, les varans ne se confrontent pas, les varans vomissent du sang au lieu de hurler, les varans se font du mal à eux-mêmes au lieu de punir les responsables ou de régler la question en appelant les flics, des amis, de foutre les merdes dehors, de sortir les poubelles, de poser des limites et de hurler de rage quand on les outrepasse. Les varans ne savent plus où leur sécurité s’arrête et où commence l’abus ».

« Quand je suis allergique aux tomates on m’en fait manger jusqu’à ce que je dégueule. Mon repli, c’est la congélation. C’est le varan. C’est m’enfoncer dans la vase et attendre que ça passe, en montrant à quel point je ne veux pas être là. Ça suffit. Ça devrait suffire. Si les gens étaient sains dans leur tête, ça suffirait ».

Indéniablement déstabilisant, ce nouveau roman de Justine Niogret, sans être un chef-d’œuvre littéraire, bouscule allégrement les idées bien-pensantes de notre société et propose in media res une plongée terrifiante dans l’esprit et le cœur ravagés d’une victime de parents aussi déficients que dégénérés.

 

Christelle d’Hérart-Brocard

 


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A propos de l'écrivain

Justine Niogret

 

Née en 1978, Justine Niogret écrit principalement des récits de fantasy, de science-fiction et des romans noirs.