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Le Stade de Wimbledon, Daniele Del Giudice (par Christelle d'Hérart-Brocard)

24.09.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Voyages, Seuil

Le Stade de Wimbledon, Daniele Del Giudice, Seuil, Coll. La Librairie du XXIe siècle, mai 2018, trad. italien René de Ceccatty, 224 pages, 18 €

Ecrivain(s): Daniele Del Giudice Edition: Seuil

Le Stade de Wimbledon, Daniele Del Giudice (par Christelle d'Hérart-Brocard)

Saluons en tout premier lieu la très belle écriture de Daniele Del Giudice. Servie par l’excellente traduction de René de Ceccatty, elle reste homogène et poétique malgré quelques passages techniques insolites et l’insertion incongrue de realia contemporains. C’est en effet la noblesse, la sensibilité et la musicalité d’une langue à la fois humble et littéraire qui se dégage et illumine le récit de la première à la dernière page. Aussi le lecteur se laissera-t-il facilement bercer et envoûter par les tâtonnements du narrateur qui, dans une quête quasi-religieuse, le menant de Trieste à Londres, s’efforce de suivre les traces de Roberto Bazlen (dit Bobi), un écrivain très apprécié des milieux littéraires de son temps, bien qu’il n’ait rien publié de son vivant.

D’aucuns pourraient y déceler la peur d’écrire un roman raté, ou un prétexte à la paresse, voire la répugnance à se lancer dans une entreprise exigeante et fastidieuse. D’autres, plus compréhensifs, parleront plutôt de son intégrité intellectuelle lui ayant toujours interdit une voie déjà empruntée, puisqu’il serait inutile d’écrire, sinon pour soi et ses amis, sinon une œuvre totalement inédite.

Ce dernier point de vue est celui des deux femmes qui ont marqué et partagé la vie de l’écrivain. De leurs confessions intimes, affleure une personnalité complexe, dévouée à l’extrême à l’art qu’il vénère comme à ceux qui le servent, jusqu’à l’oubli de soi et de sa propre ambition littéraire :

« Mais l’opinion la plus haute de l’écriture, c’est toujours quelqu’un qui s’y est refusé qui la possède […] Mais il est vrai, comme il le pensait, qu’il y a trop de livres et qu’il est inutile d’en ajouter d’autres ».

« Voilà : beaucoup de gens, arrivés à ce point, ont fait sa connaissance. Et il les a aidés à changer ou à prendre une décision. Je crois que c’était là sa passion, et son chef-d’œuvre. Rien d’autre ».

On s’abîme avec délectation dans cette atmosphère érudite, contemplative, un brin austère, où les secondes semblent s’égrener avec parcimonie afin de laisser la narration, principalement au présent, se développer au rythme lent et savoureux d’une enquête aussi minutieuse qu’incertaine, puisqu’en définitive, on n’apprendra pas grand-chose sur ce Roberto Bazlen.

Au gré des lieux qu’il visite et des personnes qu’il rencontre, le narrateur, plus silencieux et empathique que véritablement actif, se laisse non seulement gagner par ses propres émotions mais en vient à élaborer une réflexion spéculaire sur les ressorts de la création littéraire, faisant écho à sa propre démarche d’enquêteur. Rattrapé par la vraie vie comme a pu l’être Roberto Bazlen de son vivant, c’est dans le stade immense et vide de Wimbledon qu’il prend conscience que l’œuvre, posthume, de l’écrivain n’aura jamais été aussi proche de la vie.

Œuvre symbolique et réflexive, le roman de Daniele Del Giudice offre une immersion profonde et sans fioritures dans le processus exigeant, intuitif et engagé de l’écriture, ce qui lui a valu l’admiration, entre autres, de Moravia et de Calvino

 

Christelle d’Hérart-Brocard

 


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A propos de l'écrivain

Daniele Del Giudice

 

Daniele Del Giudice, né le 11 janvier 1949 à Rome, est un écrivain italien et professeur de littérature.