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Le Papier d’orange (La carta delle arance), Pietro De Marchi, éd. Empreintes (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 06.12.21 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Le Papier d’orange (La carta delle arance), Pietro De Marchi, éd. Empreintes, mai 2021, trad. italien, Renato Weber, 190 pages, 9 €

Le Papier d’orange (La carta delle arance), Pietro De Marchi, éd. Empreintes (par Didier Ayres)

 

Sprechgesang

Il n’a pas été facile pour moi de trouver la clé de ce recueil bilingue italien/français de Pietro De Marchi. Je pense, d’une part, que la rédaction s’est faite au long cours, avec une langue qui évoluait peut-être. D’autre part et par conséquent, ses thèmes et ses images multiples et variés faisant des faisceaux de lumière, éclairant des objets dans la nuit, auraient fabriqué un univers complexe et profond. Ce qui m’est venu à l’esprit est donc une question formelle. J’ai opté ainsi pour le « chant parlé », c’est-à-dire une poésie à demi-lyrique dont le récit tremble dans le contenant, dont la réalité tangue dans le signe. De cette manière, généralement, la beauté triomphe. Et derrière cette surface presque légère, ductile, l’on voit le poète en train d’exister. Nous avons affaire à une lueur noire, une encre saturée qui occupe la blancheur du papier.

Tandis qu’ici dehors les merles

prennent d’assaut le sorbier

qui étend sa ramure jusqu’à frôler le sureau,

et qu’avidement ils en gobent les baies écarlates

avant de s’envoler, effrayés par une ombre,

moi, je me souviens que je voulais t’écrire ;

car la dernière fois que je t’ai vu

tu m’as égrené une série de noms d’oiseaux

en dialecte, tels que finchi, fringuelli

en italien, Finken en allemand,

et moi, je n’ai pas pu penser à Pascoli,

que tu n’avais peut-être jamais lu.

 

Pour moi, cette poésie s’approche davantage du récitatif que de l’aria, même si ces dénominations restent relatives. Mais j’ai reconnu ce que le Sprechgesang autorise en musique, un chanté-parlé où apparaît l’auteur, juste voilé légèrement par la musique de sa langue. Il s’agit d’un texte modérément chanté, andante cantabile.

De cette manière, la première lecture n’épuise pas le poème. Et, si l’on considère que raconter s’infuse dans le poème (dans la forme de l’épopée par exemple, même si ce que raconte le texte est composé de fragments de la vie du poète, et donc ressemble à une sorte d’assemblage « lautréamonesque » (?), dès lors les poèmes peuvent se faire musicaux.

 

En sortant pour aller à un enterrement, ce jour-là,

il s’était vu dans le miroir de l’ascenseur

(encore plus creuses

ses joues, et le profil toujours plus effilé)

et s’était contenté de dire :

je viens comme symbole.

Il n’en fallait pas moins que l’expérience d’une vie

(et d’innombrables lectures) pour arriver à dire,

avec une telle élégance, une vérité si lancinante.

 

J’ajoute simplement que cette poésie est une prise du réel, une capture, rend captif l’éclat de la réalité, laquelle capte le poème qui à son tour lui insuffle son chant, sa matière.

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.