Le goût de la philosophie, Collectif, textes choisis et présentés par Lauren Malka (par Guy Donikian)
Le goût de la philosophie, Collectif, textes choisis et présentés par Lauren Malka, Mercure de France, 2019, 123 pages, 8 €
Edition: Mercure de FranceImaginez un banquet, pourquoi pas chez l’hôte Agathon, qui réunirait des philosophes comme Aristote, Montaigne, Spinoza et bien d’autres, à qui on demanderait pourquoi ils ont consacré leur vie à philosopher, et ce qui, dans cette façon d’interroger le vivant, leur a permis de mieux vivre, quitte d’ailleurs à en mourir, on n’est pas à un paradoxe près, et c’est bien tout l’intérêt de tous les questionnements auxquels ils se sont astreints, la Vérité est plurielle à n’en pas douter, et tous ont eu cette perspicacité, en interrogeant le vivant, à ne pas se laisser enfermer dans des propos doctrinaires, laissant ainsi la voix libre à tous les raisonnements, puisqu’il s’agit bien de rigueur aussi.
Ce petit ouvrage nous invite donc à lire les réponses de certains philosophes, nous y reviendrons, à cette question du pourquoi. D’aucuns diraient aujourd’hui que « se prendre la tête » n’a absolument aucun sens et aucune utilité, ce à quoi nos penseurs ont su et savent encore répondre avec des arguments probants. L’intérêt réside dans l’originalité de chacun et la diversité des réponses renvoie à l’époque et au contexte de ces philosophes, ceci constituant la première partie de l’ouvrage.
Si pour Socrate la philosophie est l’affaire de sa vie, interroger chaque citoyen afin qu’il se « tourne vers sa propre vertu, quitte à en mourir », pour Platon c’est des sciences la seule libre car « elle est à elle-même son propre but ». Epicure affirme dans sa lettre à Ménécée qu’elle est la santé de l’âme et, qu’à ce titre jeune ou vieux, il faut philosopher. Sénèque invite à la conquête de la sérénité et Epictète dit qu’il faut tenir le rang de la philosophie ou de l’homme ordinaire. On appréciera dans la réponse de saint Augustin l’universalisme de ses moments intimes qui provoque chez lui une excitation à rechercher, poursuivre, atteindre la sagesse. C’est un peu à la même exhortation de la recherche de la sagesse que Descartes invite, rejoint par Spinoza pour la compréhension du monde. Voltaire, Rousseau, Bergson ne sont pas en reste pour formuler leurs réponses.
La seconde partie du livre s’intitule « Les philosophes parlent de leurs maîtres ». C’est Platon pour Socrate, c’est Montaigne et la Boétie. C’est aussi Voltaire à Diderot dans une lettre où il déclare : « le peu que j’ai lu de vous me rend presque tous les autres livres insipides ». Et Nietzsche dans une de ses lettres affirme : « je suis de ces lecteurs de Schopenhauer qui dès la première page savent avec certitude qu’ils liront toutes les autres et prêteront l’oreille au moindre mot qu’il ait jamais dit ». Il faut aussi s’appesantir sur les écrits d’Hannah Arendt qui marque son admiration sans borne pour Heidegger, ou encore Jacques Derrida dans son adieu à Levinas. Et comment ne pas mentionner cette phrase de Camus dans un texte extrait des Carnets où l’éloge qu’il fait de l’œuvre de Simone Weil résonne particulièrement aujourd’hui : « Quand une société court irrésistiblement vers le mensonge, la seule consolation d’un cœur fier est d’en refuser les privilèges ».
Enfin une troisième partie est, elle, consacrée aux romanciers, artistes, cinéastes qui aiment la philo. On y retrouve un Balzac jeune épris de philosophie dans ce court extrait de « Louis Lambert ». André Gide évoque l’importance de Nietzsche et déclare dans une de ses lettres : « Je suis entré dans Nietzsche malgré moi ; je l’attendais avant de le connaître fût-ce de nom ». Chaplin, dans Histoire de ma vie, donne une belle définition de la philosophie : « J’ai foi en l’inconnu, dans tout ce que nous ne comprenons pas par la raison ». Brassens, Magritte, ou Houellebecq narrent leur rapport privilégié à la philosophie tout comme, et c’est surprenant pour qui connaît peu son œuvre, Bob Dylan qui a écrit un texte dans lequel il dit avoir rêvé du philosophe Saint Augustin. Mais on sait aussi que chez Dylan la polysémie règne en maître…
Guy Donikian
Lauren Malka collabore au Magazine Littéraire et au Figaro Magazine, et a publié, chez Robert Laffont, Les journalistes se slashent pour mourir.
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