Le Diamant orphelin, William Irish (par Didier Smal)
Le Diamant orphelin, William Irish, Folio, mai 2023, trad. anglais (USA) Laurette Brunius, 288 pages, 8,10 €
Edition: Folio (Gallimard)
Paru originellement en 1985, Le Diamant orphelin est un recueil de huit nouvelles publiées entre 1935 et 1942, durant l’âge d’or du « hard boiled » américain, par l’auteur new-yorkais William Irish. À l’époque, les éditeurs ne veulent plus entendre parler de ses romans (qui ont pourtant rencontré un certain succès durant les années vingt ; ils le connaîtront à nouveau à partir de 1940 et du fabuleux La Mariée était en noir), et il écrit des nouvelles pour des « pulps », dont le célèbre Black Mask, sous différents pseudonymes. Une édition critique de ces nouvelles, environ trois-cent-cinquante, pourrait faire l’objet d’un projet éditorial, mais cela risquerait d’avoir le même intérêt que ces intégrales d’enregistrements blues ou jazz effectués à la même époque : ce sont des chansons enregistrées pour être écoutées sur un soixante-dix-huit tours, cinq minutes à la fois maximum, pas pour être écoutées en collection de plus d’une heure à la fois. Ou alors, sous forme d’une bonne compilation destinée à montrer la diversité stylistique de l’artiste musical. Il en va de même pour les nouvelles policières écrites à la chaîne par un William Irish : un recueil à la fois, un florilège, ça convient à leur donner du relief et offrir le plaisir de la lecture.
Ainsi en va-t-il de ce Diamant orphelin, qui, en huit nouvelles, varie les points de vue, des forces de l’ordre, parfois corrompues par le désir d’avancement, à une jeune femme cherchant à disculper son mari accusé de meurtre en passant par un vieux coiffeur italien surnommé le « Boucher » dans son voisinage – mais ici, pas de figure du détective privé tel qu’on peut le croiser chez Raymond Chandler par exemple. De cette variation de points de vue découle une variété d’histoires et d’enquêtes, même si toutes ont pour objet un meurtre, mais surtout huit histoires écrites avec humour ou ironie. On ne peut ainsi que sourire à la veine humoristique de J’ai tout vu ! (on pourrait citer toute la nouvelle ou presque, contentons-nous d’une phrase : « Elle avertit le voisinage de toute la force de ses poumons, et c’étaient d’excellents poumons, à longue portée »), ou au retournement ironique de Il cause bien, l’assassin, nouvelle où Irish se sert d’une nouveauté technologique en 1935, l’enregistrement à domicile sur disque de cire.
Pour ce qui est de la traduction, elle est à la hauteur de ce qu’on peut attendre pour les traductions de « hard boiled » en français, dès que ça devient du « roman noir » : quelques errements lexicaux, l’un ou l’autre léger contresens (sans parler des titres en français, souvent bien plus racoleurs qu’en anglais) – bref, c’est traduit comme ça a été écrit, avec la même connaissance de ce fait très simple : ces nouvelles, bien qu’intelligemment écrites, ne sont pas écrites pour la postérité, elles sont avant tout destinées à donner du plaisir quelques minutes durant, dans le métro ou le soir après le boulot, entre autres par un petit jeu, classique dans le cadre du roman policier dès qu’il y a enquête, entre le lecteur et l’auteur, le jeu consistant à savoir si le premier parviendra à deviner l’intention finale du second mais sans l’aspect nécessairement sordide du roman policier actuel.
Si c’est du chef-d’œuvre imputrescible que l’on désire, autant passer son chemin ; si ce sont des nouvelles intelligentes, humoristiques et bien ficelées que l’on cherche, huit diamants sont ici proposés, et ils sont loin d’être orphelins dans l’œuvre riche et contrastée de William Irish.
Didier Smal
William Irish est le pseudonyme de Cornell Woolrich (1903-1968), un écrivain américain dont l’œuvre est devenue synonyme en France de roman noir. Outre La Mariée était en noir, on retiendra La Sirène du Mississippi et J’ai épousé une ombre. Ses nouvelles ont été recueillies en de multiples volumes en français. On retiendra, entre autres, Fenêtre sur cour, qui contient la nouvelle ayant inspiré Alfred Hitchcock.
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