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Le Combat, William Hazlitt

Ecrit par Didier Smal 04.06.16 dans La Une Livres, Quai Voltaire (La Table Ronde), Les Livres, Critiques, Essais

Le Combat, avril 2016, trad. et préface Lucien d’Azay, 144 pages, 14 €

Ecrivain(s): William Hazlitt Edition: Quai Voltaire (La Table Ronde)

Le Combat, William Hazlitt

 

William Hazlitt (1778-1830) plane sur les lettres anglaises, faucon prêt à fondre sur sa proie : on craint le moment où, assis en bout de table, convié à un souper, cet homme peu amène d’apparence ouvre la bouche pour lancer un trait définitif, parfois sarcastique, dont nul ne va se relever, et que nul ne pourra contredire. En ce début de XIXe siècle, à Londres, Hazlitt observe et écrit, d’un trait jubilatoire, ce qu’il ressent à cette observation – et tant pis pour qui n’a pas l’heur de plaire à son humeur du moment ! Cette liberté de ton, à quasi deux siècles de distance et malgré que certains propos échappent car ultra-référencés (mais les appareils critiques ne sont pas faits pour les chiens), est un pur délice, surtout dans une époque contemporaine confite au politiquement correct quand ce n’est pas à la déférence promotionnelle. Bref, lire Hazlitt, c’est retourner à une époque bénie, même si plus fantasmée qu’autre chose (Hazlitt n’était pas la règle, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on se souvient de lui), où écrire pouvait fâcher sans nécessairement mener au lynchage médiatique façon Renaud Camus ou Richard Millet. Passons.

Et revenons à William Hazlitt puisque la collection Quai Voltaire propose trois de ses essais à l’amateur, sous le titre Le Combat, ouvrage traduit, annoté et préfacé de belle façon par Lucien d’Azay. Le premier essai, celui qui donne son titre au recueil, préfigure de magistrale façon le journalisme gonzo à la Hunter S. Thompson, Hazlitt se mettant en scène en spectateur d’un combat de boxe, ancêtre de la boxe anglaise, et pratiquée à mains nues. Le combat en tant que tel n’occupe que quelques pages, épiques ; l’essentiel du récit concerne le voyage vers une petite localité située à environ soixante-cinq kilomètres à l’ouest de Londres, et les rencontres faites durant ce voyage. Fin connaisseur de l’âme humaine, Hazlitt prend plaisir à croiser ses contemporains, à discuter avec eux, en particulier un certain Joe Toms en qui il reconnaît immédiatement « un amateur d’ART PUGILISTIQUE » (les majuscules sont de l’auteur), à les croquer en quelques lignes d’une rare finesse et d’un humour ravageur lorsque le besoin s’en fait ressentir – ainsi de John Turtle, l’entraîneur avec qui il se retrouve en diligence : « Mon ami l’entraîneur s’en tenait à son sujet – faire combattre des chiens contre des hommes, des ours contre des blaireaux – hors duquel il s’avérait “plutôt flapi”, manquant d’à-propos ou tombant même fort judicieusement de sommeil chaque fois que nous entamions une nouvelle manche ». Ce « fort flapi » permet de souligner une autre caractéristique de la plume de Hazlitt, puisqu’il est en fait une citation de Hamlet : elle est hyper-référencée, et Le Combat ressemble à un festival de citations diverses, amenées avec un art consommé et démontrant une vaste culture, celle qui lui permet de comparer les deux boxeurs à Achille et Hector par exemple. Mais attention, pas d’étalage vain ici : Hazlitt est d’une rare élégance et écrit avec un naturel confondant.

Cette remarque vaut aussi pour les deux brefs essais accompagnant Le Combat, dont le premier mériterait d’être étudié en long et en large avant de s’aventurer dans la vie sociale : Sur les Gens Désagréables. Dans ces quelques pages, Hazlitt dresse une galerie de portraits, de types, qui sont autant de découragements à l’amitié, autant d’incitations à une saine misanthropie. Le plus amusant, ou le plus désolant, est qu’aucune catégorie d’importuns n’échappe à la plume aussi ravageuse qu’amusée de l’auteur et, surtout, que chacune de ces catégories est toujours d’actualité en 2016 – d’où tout l’intérêt de ce bref essai, confondant de justesse. Un exemple puisé au hasard, pour donner un avant-goût : « Il y a encore ces individus qui pourraient se montrer agréables s’ils en avaient seulement la volonté ; mais tout ce qu’ils disent ou font est sur un même mode mesquin, rébarbatif et déplacé. Bien qu’ils ne manquent ni de jugement, ni d’instruction – ils regorgent d’érudition personnelle, connaissent pléthore d’anecdotes, et leurs manières et leur mise sont irréprochables –, nous ne parvenons pas à les apprécier : nous ne sommes ni heureux de les voir arriver ni navrés de les voir partir. Ce qui fait défaut à leur fréquentation, si intime qu’elle soit, c’est le principe du ciment social, à savoir un semblant de franche cordialité et de plaisir d’être ensemble ». Et de continuer de la sorte sur quelques pages, avant de passer au désagréable suivant – qui sera aussitôt lui aussi identifié par le lecteur, au risque de se reconnaître dans l’un ou l’autre trait, et c’est là toute la gloire de Hazlitt.

Le troisième essai, tout aussi bref que le second, résonne étrangement un peu moins de deux siècles après sa première publication : Poser pour son propre portrait, c’est son titre, s’ouvre en effet sur ces mots : « Beaucoup ignorent le plaisir que l’on éprouve à poser pour son propre portrait ». A l’époque du selfie, c’est au contraire un plaisir communément partagé, même si on est loin, très loin des considérations sociales (l’art de discuter qu’a ou non le peintre afin de maintenir l’attention du modèle) ou même comportementales (ne pas s’endormir pendant qu’on se fait peindre le portrait est une nécessité ; le contraire est une insulte faite au bon goût, selon Hazlitt) de l’époque où le portrait était œuvre d’un peintre, parfois d’une grande médiocrité, mais toujours spécialiste du genre. L’auteur développe en quelques pages tout l’art et le plaisir du portrait, et l’on en vient quasi à regretter une époque où celui-ci était un témoignage destiné à l’éternité, et non un témoignage d’une instantanéité destinée à s’évanouir sitôt qu’apparue.

On en vient surtout à regretter, à la lecture de cet essai et des deux qui le précèdent, de n’avoir pas connaissance d’un Hazlitt pour ce début du XXIe siècle : une plume cultivée, aussi jouissive que jouissante (on sent ici un véritable plaisir de l’écriture) pour dire avec un sourire en coin nos travers. Dans l’attente de l’avènement ou de la découverte de pareille plume, on peut prendre un plaisir sans mélange aux essais de Hazlitt, et il n’est pas mince.

 

Didier Smal

 


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A propos de l'écrivain

William Hazlitt

 

William Hazlitt est un écrivain de langue anglaise né 1778, dont l’esprit romantique et l’ambivalente personnalité marquèrent la littérature. Fervent lecteur de Shakespeare et de Milton, mais aussi essayiste, peintre et découvreur de talents dans le domaine de la musique et des arts en général, de la philosophie et de la psychologie, il eut comme lecteurs  Robert-Louis Stevenson et Virginia Woolf – entre autres – qui rendirent compte de ses écrits. Son œuvre parut en 1821-1822 à Londres, et connut des résonances outre-Manche.

 

A propos du rédacteur

Didier Smal

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Didier Smal, né le même jour que Billie Holiday, cinquante-huit ans plus tard. Professeur de français par mégarde, transmetteur de jouissances littéraires, et existentielles, par choix. Journaliste musical dans une autre vie, papa de trois enfants, persuadé que Le Rendez-vous des héros n'est pas une fiction, parce qu'autrement la littérature, le mot, le verbe n'aurait aucun sens. Un dernier détail : porte tatoués sur l'avant-bras droit les deux premiers mots de L'Iiade.