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Le chemin des fugues, Philippe Lacoche (2ème critique)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) 23.10.17 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, Les éditions du Rocher

Le chemin des fugues, août 2017, 312 pages, 19,90 €

Ecrivain(s): Philippe Lacoche Edition: Les éditions du Rocher

Le chemin des fugues, Philippe Lacoche (2ème critique)

 

Voyage au bout du Vaugandy

« Vaugandy »… déjà le nom résonne comme un vaudou d’arrière-monde où le culte du Sombre et de l’Éclatant se tailleraient chacun sa part d’arc-en-ciel pour envoûter et réveiller un territoire ensorcelé. Pour le relier à ses racines, à sa mémoire. Pour s’y faire de nouveau rencontrer les hommes qui y habitent et y circulent, voyageurs passagers d’un temps à partager, rehaussé quand il vibre de ses instants de fraternité, de solidarité.

Dans Le chemin des fugues, l’ensorcellement – plutôt l’asphyxie, escortée d’un désenchantement vrillé à un 21e siècle emporté par l’ouragan incontrôlé des nouvelles technologies, d’un libéralisme mettant à mal nos existences de terrain pour celles de spéculation – se paie le luxe d’un style.

Un style à la Vailland pour le hussard rouge Philippe Lacoche ? Ce serait : des phrases courtes, vivantes, sans graisse, sans surgras, peu d’adjectifs, une parcimonie de l’épithète quand il s’avère nécessaire ; la métaphore rare, « mais toujours juste et précise, comme un coup de surin » (Ph. Lacoche) ; une écriture où respire la vie, la levée de lignes immergées du pécheur qui attend, guette ; de l’amoureux fou des femmes, qui espère. Cendrars, Blondin, Vailland, du Modiano aussi dans le narratif collé à la peau de la nostalgie ; du Diderot dans le fatalisme d’une Singularité digne d’un Jacques ; du Henry Miller ; du polar aussi dans l’atmosphère glauque des âmes perdues, chaleureuses ; et l’on en passe. Du Philippe Lacoche, surtout, un décor, une âme du décor tenu dans le souffle de beauté de ses personnages hauts en couleurs (Pirate, le buraliste, dénicheur de la Pucelle – une bière pression artisanale brassée dans le Pas-de-Calais –, le légionnaire, le BDLP (Bar de La Place), etc.

« La Pucelle était l’une des fiertés de Pirate, pourtant d’un naturel modeste ; elle contribuait à la réputation de l’établissement où se retrouvaient des artistes, des gauchistes, des communistes, des libertaires, des altermondialistes, des socialistes frondeurs, des monarchistes fraternels et exaltés façon Bernanos, des musiciens, des peintres, des paumés, des alcooliques chroniques, des demeurés, des suicidaires, des illuminés, des punks à chiens, des Blancs, des Noirs, des Jaunes, des Créoles, des Malgaches, des Bleus, des Oranges, des animaux (chiens, chats… poneys, etc.), des chevelus, des crânes rasés… bref tout ce que l’Humanité compte de meilleur, de plus singulier. Qu’ils vinssent de la gauche, de l’extrême ou de l’ultragauche, de l’anarchisme, de l’écologie, de la droite douce, du centre mou, d’Action française, une chose réunissait ces drôles de zèbres : une détestation absolue et inébranlable du capitalisme, de la société de consommation, du libéralisme rampant de la fausse gauche et de la droite affairiste ».

Philippe Lacoche a ce talent de rendre nostalgique d’un temps fédérateur d’humanité, même un lecteur, une lectrice, qui n’aurait pas vécu ce temps. Modiano, nostalgique en quête d’un temps qu’il n’a pourtant pas vécu, le restituant dans un labyrinthe de l’Écrire personnel, familial, par la traque éclairante, (re-)fondatrice d’une mémoire humaine universelle cherchant à décrypter son Histoire ; Philippe Lacoche, nostalgique qui rend le lecteur nostalgique, même de ce qu’il n’aurait pas lui-même vécu. Au bout du Chemin des fugues, le vœu d’un retour à une humanité fraternelle, solidaire, se laisse tisonner pour que se rallume et s’imagine réalisable, encore, l’espoir d’une société à hauteur d’hommes…

Lire Philippe Lacoche vous fait immanquablement rencontrer des personnages attachants, des lieux touchants, vous happe comme la tentation d’un alcool que l’on ingurgite plus que l’on ne boit, et dont on ne s’arrête pas de goûter la saveur, jusqu’à plus soif de vouloir (de nouveau) mieux VIVRE.

« Chaunier (contraction de Chauny et de Tergnier, de la Picardie natale et chère à l’auteur) n’était pas triste, non ; simplement dégouté, enduit à l’intérieur par la noirceur anthracite d’une mélancolie tenace » – une noirceur anthracite qui vous rallume d’un drôle d’air l’envie de retrouver un Ailleurs meilleur, plus respirable, au bout du Chemin des fugues – Voyage au bout du Vaugandy ? Sans concession, sans compromis, sans résignation, aller l’amble au bout / au-delà de soi-même… Même si l’Espoir têtu n’ébroue, vaille que vaille, malgré tout, qu’une ombre d’étincelle de nos carcasses farcesques. Et si, au final, après tout, cela valait le coup ?

 

Murielle Compère-Demarcy

 

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A propos de l'écrivain

Philippe Lacoche

 

Originaire de Chauny dans l’Aisne, Philippe Lacoche passe son enfance à Tergnier, ville ouvrière, cheminote et résistante. Fait ses études à Tours pour devenir journaliste. Écrit dans la revue Best, puis sa carrière le conduit à faire de la critique de livres pour différents magazines. Journaliste au Courrier picard, il vit et travaille à Amiens, en Picardie. Romancier, nouvelliste et parolier, pêcheur à la ligne, admirateur des Hussards de tous bords en littérature, il a publié plus de vingt livres dont HLM, Prix populiste en 2000 (source : 4è de couverture Les Dessous Chics, éd. De La Thébaïde, 2014). Publications récentes : Les matins translucides, roman, Ecriture, 2013. L’Écharpe rouge, théâtre, Le Castor Astral, 2014. Les Boîtes, nouvelles, Cadastre8Zéro, dessins de Colette Deblé, 2014. Philippe Lacoche a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages, au Dilettante, au Castor Astral, à La Vague Verte, c/o Syros, au Cadastre8zéro, aux éditions Le Rocher, Les Equateurs, Mille et une Nuits, chez Flammarion, Licorne, Alphée…

 

A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


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Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.