Le Bruit des tuiles, Thomas Giraud (par Guy Donikian)
Le Bruit des tuiles, Thomas Giraud, août 2019, 280 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Thomas Giraud Edition: La Contre Allée
Considerant, tel est son nom, sans accent sur le « e », fait partie de ces utopistes sans lesquels le monde n’aurait pas exploré les limites d’une utopie imposées par la nature. Parce ce qu’il s’agit d’une utopie que cet ingénieur économiste polytechnicien français aura voulu vivre et faire vivre.
Nous sommes en 1855. Considerant se rend dans quelques villes françaises pour recruter les candidats à une vie nouvelle. Considerant est un disciple de Fourier, et son projet n’est rien moins que fonder une ville « ex nihilo » pour que chacun puisse rapidement jouir d’une vie plus égalitaire et plus paisible. Ainsi a-t-il acheté des terres dans le « nouveau monde », près d’une ville, Dallas, sans les avoir visitées, grâce à un intermédiaire, pour y bâtir une nouvelle ville qu’on nommera Réunion. Son projet séduit des Français qui parfois n’ont plus rien à perdre et des Suisses intéressés par l’idée d’une vie nouvelle. Ces candidats sont dotés d’un enthousiasme proportionnel au désarroi ou à la misère endurée jusque-là. Réunion, c’est pour eux un nouveau départ qui devrait laisser loin derrière eux jusqu’au souvenir des jours difficiles.
Ils sont donc nombreux, trop nombreux, à se mettre sur les rangs, et Considerant parie sur l’érosion des velléités pour réduire le nombre des futurs colons. « A la fin de la soirée, rendez-vous est donné au Havre, dans quelques mois, lorsque Considerant estimera que tout est prêt. D’ici là, il s’en persuade, certains auront peut-être renoncé et d’autres, qui n’auront pas renoncé, vaudront certainement mieux que ce qu’ils ont montré ce soir ».
Ils seront donc une trentaine, chacun ayant contribué financièrement au projet, en ayant vendu tous les maigres biens possédés jusqu’alors. Considerant sera plutôt optimiste quant au devenir du groupe constitué. « Il se dit que ce qui compte avec ce groupe bigarré de trente, c’est qu’ils aient envie de faire et qu’une belle énergie ne peut nuire ».
Mais le long voyage en bateau ne sera pas effectué dans les meilleures conditions. « Ils étaient serrés sur le bateau. Les futurs colons se sont arrangés entre eux avec enthousiasme au départ mais un peu d’agacement ensuite car là où il y avait en principe seulement de la place pour deux, il a fallu en caser un de plus, trouver un trou pour enfoncer plus que ranger des affaires, suspendre beaucoup ».
La découverte des lieux va surprendre les colons quand ils se rendront compte que les terres sont arides, que la pluie est rare, que le voisinage (Dallas), s’il n’est pas franchement hostile, n’est pas exactement hospitalier ni enclin à une aide. Tout est à faire, il faut donc organiser le travail en s’inspirant des préceptes de Fourier : « … c’est-à-dire une application générale élaborée par Fourier à partir du modèle français, anglais et allemand, reproduit dans le cadre particulier du Texas, avec ce groupe et ces terres-là selon l’idée que Considerant s’était faite par anticipation d’ici. Notamment les changements d’activité doivent être programmés et organisés selon un emploi du temps quotidien et hebdomadaire, ils ne peuvent être aussi vifs et spontanés que ceux que Fourier a décrits ». On s’adapte donc aux conditions que rien ou presque ne prévoyait aussi difficiles. Si les premiers temps furent difficiles, ceux qui suivirent le furent encore plus, jusqu’à entamer rapidement les enthousiasmes et dissoudre la communauté des colons dont certains quitteront les lieux, suivis par d’autres plus nombreux encore, sous l’œil apparemment indifférent de Considerant.
Il y a deux raisons de lire ce roman. La première tient au fait de sa construction qui s’appesantit sur le rapport de différents protagonistes au projet et aux difficultés rencontrées. Les Suisses auront un comportement que l’auteur met en exergue, tout comme il met l’accent sur la lente et progressive indifférence de Considerant, ou encore sur la place des commerçants américains. La seconde tient à l’écriture, à la construction des phrases qui obéit à une musicalité évidente dès les premières lignes. Il y a chez Thomas Giraud une volonté de rendre son texte lisible, lisible à voix haute s’entend.
Guy Donikian
- Vu : 1907