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Le bastion des larmes, Abdellah Taïa (par Abdelmajid Baroudi)

Ecrit par Abdelmajid Baroudi 14.10.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Maghreb, Roman, Julliard

Le bastion des larmes, Abdellah Taïa Editions Julliard, Paris 2024

Ecrivain(s): Abdellah Taïa Edition: Julliard

Le bastion des larmes, Abdellah Taïa (par Abdelmajid Baroudi)

 

Le bastion des larmes est une vengeance. L’auteur remue la plume dans la plaie afin de se venger d’une souffrance dont le corps est le seul témoin. Comment oublier ce que la chair a subi ? La cicatrice est indélébile.  Se venger, c’est acheter le silence de la doxa. Donne-leur de l’argent, tu vas sûrement éviter leurs médisances. C’est donc le matériel qui détermine leur conscience, le reste n’est que pure hypocrisie. Qui a dit que la justice est faite pour les faibles ?  Nous ne sommes pas toutes et tous égaux devant la loi, car être homosexuel dans une société où la religion et le pouvoir politiques sont complices est anormal et contre-nature. La liberté individuelle, vous dites ? Allez vendre ce discours aux mécréants. Seules les sœurs comprennent ce que veut dire efféminé.

Dans Le bastion des larmes, les narrations s’écrivent en larmes.  Des larmes qui font mal au défunt. Plus on pleure, plus le corps brûle dans l’au-delà. Et puis, il y a des larmes qui réparent. Elles confirment le lien sacré avec celle qu’on aime, en l’occurrence la mère.

Salé, Hay Salm (Quartier La paix) est la traduction d’une chanson qui résonne en ce corps et caresse le rêve qu’emporte l’océan. (Ana bahlam bik.) Moi, je rêve de toi. A Hay Salam, l’orient installe son idiome et séduit l’émerveillement qui implore le lendemain. A Hay Salam, chaque espace crée son ambiance, forge ses personnages et transgresse son intimité. Les péchés se délavent au hammam à la recherche d’une miséricorde dans la maison de Dieu. Allah est grand. Au quartier Hay Salam, nos corps se libèrent, nos rires éclatent. La joie sur les lèvres. Nous sommes bénis, frères et sœurs par le sourire de la mère. Hay Salm est l’histoire d’un corps violé et violenté. Voici donc le revers de la carte postale.

Dans Le bastion des larmes, les objets ont leur signification. Car ils représentent l’héritage symbolique que la mère a légué à ses enfants. Le mortier jaune en est l’illustration. Le mortier jaune est le signe d’une richesse dans la pauvreté. C’est le symbole de la Baraka. Le mortier jaune diffuse l’odeur qui chasse le djinn de la maison et éloigne le mal du corps minuscule. Le mortier jaune appelle la beauté que la nature déploie sur tout l’univers. Personne ne sait taper au fond du mortier hormis la mère. Elle maîtrise bien le coup, comme l’on dit dans notre jargon. Elle prend la main du mortier, se concentre et tape fort. De chaque coup surgit une odeur qui envahit tout l’appartement. L’odeur des plantes séchées et écrasées qui nous servent de médicaments. Le mortier jaune exerce sa force sur nous et éternise notre nom. « Nous continuerons votre chemin même quand il fera très noir. Nous porterons ce mortier loin dans le temps, loin dans l’avenir. » (2)

Il va sans dire que ce roman a l’audace d’exposer l’hypocrisie de la société envers l’homosexualité.  Il met en exergue la complicité du religieux avec le politique dans le but de bafouer la liberté individuelle de la personne d’exprimer sa différence.  Il faut noter que cette audace de dévoiler les dessous politiques s’inspirant du religieux pour réprimer cette liberté, n’est pas souvent mise en relief par certains écrivaines et écrivains marocainEs.

Le bastion des larmes prouve encore une fois que le roman marocain, d'expression française, se porte bien. Ce roman est écrit en français mais parle marocain.

 

Abdelmajid Baroudi



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A propos du rédacteur

Abdelmajid Baroudi


Abdelmajid Baroudi

Ex enseignant de philosophie au Maroc

Acteur associatif

ex collaborateur résident au Maroc du magazine canadien tolérance .ca

Publie sur le site Al awrak