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La Une Livres

Lignes de crêtes, Promenades littéraires en montagne, Collectif (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Vendredi, 10 Décembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Anthologie, Editions Noir sur Blanc

Lignes de crêtes, Collectif, mai 2021, 296 pages, 29 € Edition: Editions Noir sur Blanc

Excellente idée que celle des Éditions Noir sur Blanc, de marier anthologie littéraire et guide touristique ; encore ce dernier adjectif est-il peut-être mal choisi, car on n’imagine guère des personnes âgées en tenues courtes venir par autocars entiers pour effectuer ces itinéraires, dont certains ne semblent pas vraiment faciles. Précisons encore que les montagnes sont celles de la Suisse, pays bien pourvu dans ce domaine, et les écrivains avant tout ceux de la Confédération, également bien pourvue, ce que la France et l’Allemagne voisines ignorent en général (la littérature helvète étant au moins bilingue). Cela dit, on croise également au fil des pages et des cimes des écrivains aussi divers que Hegel, D. H. Lawrence, Mark Twain, Rimbaud, Herman Melville, André Maurois, Chateaubriand, Musil, Tolkien (qui, comme il le reconnut dans une lettre, s’inspira des paysages suisses pour ses contrées fantastiques), Amiel, Maupassant, Proust, Goethe, James Baldwin ou Paul Celan. Sans qu’elle s’en vante outre mesure, la Suisse se trouve au centre de l’Europe et, avec son mélange de langues allemande, française et italienne, constitue un microcosme du continent entier, une autre « terre du milieu », une Mitteleuropa paisible. Nombreux furent les écrivains qui ne s’y trompèrent pas. De plus, la Confédération offrait un îlot de paix et de stabilité politique au milieu des conflits incessants et des révolutions en tous genres.

Portraits de pessimistes, De Shakespeare à Schopenhauer, Paul-Armand Challemel-Lacour (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Jeudi, 09 Décembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais, Editions des Instants

Portraits de pessimistes, De Shakespeare à Schopenhauer, Paul-Armand Challemel-Lacour, Editions des Instants, octobre 2021, 168 pages, 15 € Edition: Editions des Instants

 

Une joviale lucidité.

La fréquentation des pessimistes avec leur âpre lucidité entraîne-t-elle immanquablement l’affliction, le désespoir ou un sentiment de déréliction ? On pourrait le croire. Mais étrangement, on tire de leur lecture quelque chose de revigorant. C’est comme toucher du pied le fond d’une eau noire et profonde et d’un coup de talon rebondir et resurgir vers la surface. Il est bon quelquefois de ruminer des idées sombres pour mieux s’en défaire, de ronger la corde de la mélancolie et de se tourmenter avec de douloureuses interrogations sur la difficulté d’être pour retrouver ensuite plus fortement le goût de vivre et le désir de la lutte. Chez les pessimistes, comme l’écrit Nietzsche dans ses Considérations inactuelles, on éprouve « une joviale lucidité » qui a le don de rendre serein. Une sorte de bonne santé qui naît au contact des miasmes des pensées amères et maussades C’est ce que l’on ressent en lisant le livre de Challemel-Lacour, Portraits de pessimistes, de Shakespeare à Schopenhauer, publié aux Editions des Instants.

La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, Philippe Rey (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 08 Décembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Philippe Rey

La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, août 2021, 448 pages, 22 € Edition: Philippe Rey

 

« On ne rencontre pas Elimane. Il vous apparaît. Il vous traverse. Il vous glace les os et vous brûle la peau. C’est une illusion vivante ».

« Mais, par-dessus tout, ce qui m’avait lié à lui était la même foi désespérée qu’on plaçait dans l’entéléchie de la vie qu’incarnait pour nous la littérature. Nous ne pensions pas du tout qu’elle sauverait le monde ; nous pensions en revanche qu’elle était le seul moyen de ne pas s’en sauver ».

On ne rencontre pas un roman d’une telle intensité, d’une telle force, d’une telle tenue, d’une telle originalité, il vous apparaît. Les grands romans sont des apparitions qui fondent, et troublent l’Histoire de l’art romanesque, comme ils troublent des générations de lecteurs. La plus secrète mémoire des hommes vous traverse, comme vous traverse un roman fondateur, saisissant, vibrant, qui vous comble à le lire, et que vous reprenez, pour à nouveau vous en nourrir, comme l’on se nourrit d’une nourriture céleste, que vous l’ouvrez à nouveau, pour y glisser votre regard attentif entre deux lignes et trois phrases, qui restaient suspendues dans votre mémoire.

S’adapter, Clara Dupont-Monod, Stock (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 08 Décembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Stock

S’adapter, août 2021, 171 pages, 18,50 € . Ecrivain(s): Clara Dupont-Monod Edition: Stock

 

Il a dix ans quand il s’éteint, comme la flamme vacillante d’une bougie. L’enfant entend et sent, mais ne voit pas, ne manifeste pas. Son corps se développe, pas son esprit, reclus, muré. Un petit filet de voix, de son, s’échappe de lui pour dire son bien-être, ou son inconfort, pas sa joie, ni son déplaisir. Ce ne sont pas des sentiments mais une modulation, comme celle d’une rivière, sur le fil.

Mais cet enfant « inadapté », qui ne convient pas à la vie, va cependant faire enfler autour de lui, révéler et réveiller ce qui se tapit, se cache en profondeur en chacun des membres de sa famille : ils sont cinq avec lui, ils seront cinq après lui, quand la mère donnera naissance, pour réparer la place de l’enfant mort, à un frère empreint de lui.

Cet enfant fragile, désarticulé tel un pantin, non fini, prend pourtant, pour chacun de ceux qui l’entourent, à sa manière, une place prépondérante.

Le pouvoir du chien (The Power of the Dog, 1967) Thomas Savage, Gallmeister (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 07 Décembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, USA, Roman, Gallmeister

Le pouvoir du chien (The Power of the Dog, 1967) Traduit de l’américain par Laura Derajinski. 284 p. 9,90 € . Ecrivain(s): Thomas Savage Edition: Gallmeister

Roman dérangeant, au sens le plus radical qui soit : qui brise le rang, surtout celui des romans trop souvent convenus des années 60 qui égrènent révoltes, Vietnam, musique et folklore (le roman de Savage date de 1967). La noirceur du propos, la noirceur des âmes, nous rapprocheraient plutôt des grands sudistes, Faulkner en tête, dont nous retrouvons en ombre les grandes familles terriennes décadentes, les personnages cyniques et désespérés. On pense aussi irrésistiblement à Cormac McCarthy et la noirceur, la cruauté de ses personnages. Et pourtant Savage est plus proche par son enfance du Montana, où se tient ce terrible roman. Un personnage en particulier semble droit sorti des figures de l’enfer et qui pourrait être l’un des Snopes de Faulkner, Phil Burbank, cow-boy quadragénaire qui gère, d’une main de fer, avec son frère George, le grand ranch hérité des parents.

Univers d’hommes, d’éleveurs de bétail, rudes, taiseux, le ranch semble fonctionner comme un grand mécanisme dont les rapports interpersonnels sont absents, comme une addition hiérarchisée des solitudes des gens qui viennent travailler un temps, puis s’en vont, remplacés par d’autres, anonymes.