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La Une CED

La nuit de Zabach (I), par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Jeudi, 19 Avril 2018. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

« Oyez Oyez !

Ya ahl dînMary’am al adrââ a enfreint l’une de nos règles sacrées. Malheur !Ô gens pieux, Mary’am la vierge nous a déshonorés.Ô hommes de bien, allons mettre en route l’ordre moral ! Gardiens de la moralité, nettoyons nos vies, débarrassons notre existence de cette créature satanique ! Ô croyants, purifions notre descendance, adoucissons la colère d’Allah ! Sa fureur gronde ! Yalla, Yalla ! El-Elohim grogne, Son mécontentement retentit au-delà des mers et des océans ! Le Seigneur crie ; Il sermonne ! Ô gens de bien, ce soir, venez, venez nombreux et nombreuses, devant la maison de Si L’Hou-Sine, le vieux pieux, l’adorateur d’El-Elohim ! Gens de peu et Gens de bien, venez assister à la punition divine ! Venez et vous serez récompensés dans l’au-delà, au pays des eaux guérisseuses, des forêts de jade, de la grâce illuminée, du jardin des délices jonché d’orchidées pourpres, d’asphodèles et de narcisses odorantes. Sur les hauteurs de ce lieu paradisiaque, des créatures de rêve donnent naissance à des anges écarlates brillant de beauté. Venez ce soir à dix-huit heures pimpantes ! Venez et soyez nombreuses et nombreux !

À propos de Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 18 Avril 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques

Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, éd. Leméac/Actes-Sud, mars 2018, 96 pages, 14 €

 

Identité

En quatre actes et 26 scènes, Wajdi Mouawad dresse le portrait violent d’un problème éthique et interroge le spectateur/lecteur. Avec cette question : qu’est-ce que l’identité ? Et même s’il faut taire le dénouement et le coup de théâtre qui clôt la pièce, tout confine à la plasticité en relation avec l’identité, notamment religieuse ou nationale.

Énonçons quand même deux mots de l’histoire, laquelle rejoint celles des grands mythes de notre patrimoine théâtral. Et ici, nous revisitons l’amour impossible de Roméo et Juliette, dont les familles respectives ennemies traversent des douleurs et des batailles historiques. Là, le conflit israélo-palestinien qui se calque sur l’amour de Wahida et Eitan. Donc l’amour impossible entre un Israélien et une Palestinienne, nœud gordien que ne tranche pas vraiment la pièce.

Dans la tête de Recep Tayyip Erdoğan, Guillaume Perrier, par Gilles Banderier

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 17 Avril 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques

Dans la tête de Recep Tayyip Erdoğan, Guillaume Perrier, Solin/Actes Sud, janvier 2018, 236 pages, 19 €

 

 

La photographie a fait le tour du monde en suscitant l’hilarité des réseaux « sociaux », ces caisses de résonnance de la bêtise et de la vulgarité universelles. Le cliché a été pris début janvier 2015, dans l’escalier d’honneur du palais de Beştepe, immense construction de mille cent cinquante pièces et deux cent mille mètres carrés, édifiée à Ankara. On y voit la silhouette longiligne et plutôt fluette du président Erdoğan (qu’on imagine difficilement se livrer aux mêmes démonstrations de force physique que Vladimir Poutine – peut-être n’en éprouve-t-il pas le besoin, après tout), entouré d’une garde prétorienne en costumes anciens, représentant les seize empires, plus ou moins mythiques, fondés par les Turcs au fil du temps. Il faut ne rien connaître à la Turquie, à ses équilibres profonds, mais aussi à ses déchirements, à ses contradictions, pour trouver cette photographie amusante. Comme la Russie, la Turquie est un pays en longueur, à cheval sur deux continents, pourvu – comme la Russie – de deux « capitales », l’une côté européen, l’autre côté asiatique ;

Le paradis terrestre (coulisses), par Jean-Paul Gavard-Perret

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 16 Avril 2018. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

J’ai connu mes premiers émois charnels devant une statue de Notre-Dame-de-la-Salette. La beauté féminine sacrée cachait déjà mon dévoiement, mon démon et ma honte. J’imaginais derrière les plis bleus de la longue robe de la Vierge ses cuisses.

En ce lieu saint et au moment de la messe, je me plaçais toujours derrière une même femme qui semblait porter dieu en elle juste un peu plus haut que ses cuisses en partie recouvertes. Sans doute aurait-elle pu être ma mère. Cela n’enlevait rien à ses charmes. Au contraire. Il y avait belle lurette qu’en moi Œdipe s’abîmait.

Je me mettais toujours derrière la paroissienne afin de regarder la couture de ses bas lors de la génuflexion. J’imaginais leur impossible seuil que jouxtaient sans doute deux porte-jarretelles. En de telles perspectives il était peu probable que la féminité ne contienne qu’elle-même.

Et si certaines religions prescrivaient la représentation humaine ce n’était pas par hasard. Il y avait dans la femme le venin sublime – substance créée par Dieu lui-même. Et chez ma pieuse cela s’accompagnait du parfum « Soir de Paris » de Bourjois, avec un J comme joie.

Œuvres romanesques I, II, Mario Vargas Llosa, La Pléiade, par Marc Ossorguine

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 13 Avril 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques

Œuvres romanesques I, II, Mario Vargas Llosa, Gallimard, La Pléiade, mars 2016, trad. espagnol Bernard Lesfargues, Albert Bensoussan, Anne-Marie Casès, 3872 pages, 145 €

 

Un monument relié à lire et relire

Que peut-on dire ou écrire au sujet de l’œuvre de Mario Vargas Llosa qui n’ait pas déjà été dit ou écrit ? Rien, a priori. Ecrivain phare de la littérature latino-américaine et de la littérature mondiale, couronné du Prix des prix, le Nobel, maintes fois commenté, interviewé, encensé, cité… L’édition française lui a en outre accordé ce prix qui n’en est pas un mais qui est peut-être pour beaucoup encore plus qu’un prix : la publication dans la bibliothèque de La Pléiade. Un honneur et un bonheur dont l’auteur dit lui-même qu’ils l’ont plus touché que le Nobel. Que peut-il rester à ajouter ? Pour ma génération, il lui manquerait peut-être l’entrée dans le Lagarde et Michard, ce manuel qui a officialisé et institutionnalisé la culture littéraire de quelques générations de lycéens. Dès lors, il ne reste plus qu’à le lire. Tout simplement. Car il n’est pas impossible qu’à l’instar de certains auteurs dont tout le monde parle, dont tout le monde a entendu parler, ceux qui en parlent ne l’ont pas toujours lu, voire toujours pas lu. Ou l’ont mal lu. Nous avouons très humblement être de ceux-là.