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La revenante, Françoise Gérard (par Marie-Hélène Prouteau)

Ecrit par Marie-Hélène Prouteau 22.05.24 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Récits

La revenante, Françoise Gérard, édition La Chambre d’échos, mars 2024, 82 pages, 14 €

La revenante, Françoise Gérard (par Marie-Hélène Prouteau)

 

 

Françoise Gérard qui a publié plusieurs livres aux éditions La Chambre d’échos nous offre ici un périple de la mémoire et de la rêverie qui nous emmène dans une ville du Nord. Ce n’est que plus avant dans le récit que l’on apprend qu’il s’agit d’Armentières. L’importance, en effet, n’est pas dans le jeu référentiel mais dans la résonance d’une fibre intérieure, celle de la « revenante », ce personnage féminin au cœur du récit présenté à la troisième personne. D’elle, nous ne saurons que très peu de choses. La « revenante » demeurera pour le lecteur une sorte d’être de fuite, assez peu dessiné. Sauf par quelques détails biographiques liés aux aménagements de la maison familiale à l’arrivée de la grand-mère devenue veuve.

C’est par ses yeux que l’on découvre tout un patchwork de lieux qui lui furent familiers, un beffroi, un canal, la cour d’une maison, le chemin de l’école passant par une friche, les jardins ouvriers, les promenades et les parties de pêche, des amitiés et des rencontres d’alors. Autant de touches impressionnistes qui renvoient à des fragments de mémoire faisant aller-retour entre le présent et le passé et ouvrant tout un hors champ : « Le voyage se superpose à d’autres voyages ».

Quelques personnages sont évoqués, à peine esquissés. La ville est habitée de fantômes, d’êtres revenant dans le tremblé des souvenirs, un musicien privé de musique, un vieil homme à l’usine, des parents éplorés, est-ce accident ou suicide, nous ne le saurons pas. Ce qui frappe, c’est le parti-pris de Françoise Gérard de retenir l’épure universelle de ces quelques vies minuscules rencontrées.

La tonalité d’ensemble se cristallise sur des « souvenirs ensevelis sous la neige de la mémoire brumeuse ». L’histoire est là. La petite, celle de la dure vie de labeur ouvrier. La grande Histoire, aussi, avec la guerre ou plutôt, les guerres, si présentes avec leur lot de douleurs en ces terres du Nord, ruines de la ville détruite et sifflement des bombes. Les images se déploient, se télescopent entre tristesse et tendresse. Les beffrois sont la trame du récit, tels des amers dans le déroulé mémoriel : « De beffroi en beffroi, avec un ciel si bas qu’un canal s’est perdu, avec un ciel si gris qu’il faut lui pardonner ». Le plat pays de Jacques Brel, « les spirales de Van Gogh », quelques références artistiques se glissent dans ce défilé de photographies en noir et blanc qui fait penser au monde d’Édouard Boubat. Cette topographie rêveuse de la ville se joue ainsi dans l’absence et la disparition.

Ce qui frappe le lecteur, c’est la forte dimension d’inconnu qui s’attache à la ville qui, pourtant, est familière au personnage de la « revenante ». Les rues ont changé de nom, les signes indiquant les métiers de jadis, livreurs, marchands des quatre saisons ont disparu, le cinéma également. De nouvelles enseignes les ont remplacés. La revenante ne connaît plus personne. La ville lui est « devenue étrangère ».

« La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel ». Comment ne pas penser à ce vers de Baudelaire ? Celui-là même qui est repris par Julien Gracq à propos de Nantes, la ville qui fut l’horizon d’enfance et d’adolescence de l’écrivain. Mais, dans La revenante, l’enjeu n’est pas, comme chez Gracq, d’évaluer en quoi la ville fut une « forme » au sens artisanal du terme pour une conscience juvénile en formation.

Dans ces itinéraires perdus et pour partie reconnus, il s’agit de l’espérance un peu illusoire de convoquer un « temps retrouvé » que nous faisons tous un jour en revenant sur des lieux aimés. Tel est le final du livre qui tente l’impossible rêve de ressusciter le passé en une litanie de verbes au mode conditionnel. Ce rêve quasi magique rappelle le « moi, je serais et, toi, tu serais » du jeu symbolique des enfants. Ainsi l’énonce la revenante : « le cœur battrait un peu plus vite », « l’air résonnerait de paroles complètement oubliées ». À nous lecteurs d’opérer ce même retour sur nos rives du passé, à la recherche des fantômes qui nous sont chers.

Un beau livre où remuent les songes et les souvenirs nous appelant de l’autre côté de nous-mêmes.

 

Marie-Hélène Prouteau



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A propos du rédacteur

Marie-Hélène Prouteau

 

Agrégée de lettres (études classes préparatoires au Lycée Fénelon et La Sorbonne), titulaire d’un DEA de littérature contemporaine, Marie-Hélène Prouteau est écrivaine, conférencière et critique littéraire. A enseigné 20 ans les lettres-philosophie en classes préparatoires. Auteure d’études littéraires (Ellipses et SIEY), de préfaces et d’une douzaine de livres. Derniers ouvrages, une biographie de la sœur du peintre Emile Bernard, Madeleine Bernard la Songeuse de l’invisible (Hermann, 2021) ; et 12 poètes contemporaines de Bretagne (éditions Sauvages). Elle collabore à diverses revues : EuropeTerres de femmesÀ la littératureTerre à cielRecours au poèmeTraverséesSpered GouezPlace de la Sorbonne… Livres à paraître, en juin 2024, réédition de La Petite Plage, suivi de Brestrivage de l’ailleurs, préfacé par Mona Ozouf. Et en septembre 2024, Paul Celan, Sauver la clarté, éditions Unicité.