La Poésie comique, du Moyen Âge à nos jours, Collectif, Anthologie, Stéphanie Lecompte (par Didier Smal)
La Poésie comique, du Moyen Âge à nos jours, Collectif, Anthologie, Stéphanie Lecompte, Folio+Lycée, novembre 2023, 272 pages, 4,20 €
Edition: Folio (Gallimard)
Dans l’imaginaire collectif, poésie rime le plus souvent avec mélancolie, parfois avec folie, courtoisie ou philosophie, mais rarement avec gauloiserie. C’est tout l’intérêt de la présente anthologie, à destination il est vrai d’un public scolaire, préparation du Bac 2024 oblige, que de faire sourire voire rire en vers – envers et contre tout, aurait-on envie d’ajouter, puisque quelques textes combattent par l’humour. En effet, en respectant la chronologie et en explorant différentes formes poétiques (le rondeau, le fatras, le coq-à-l’âne, mais aussi le sonnet ou le poème en prose), Stéphanie Lecompte propose un parcours souriant de l’histoire de la poésie française, y invitant les plus grands noms, de Rutebeuf à Tardieu en passant par Villon, Marot, Du Bellay, Scarron, Baudelaire, ou encore Rimbaud. Même Hugo, pourtant guère surnommé « le rigolo », est présent le temps d’une Chanson, extraite des Châtiments.
La volonté présente derrière ce choix est clairement de montrer que la poésie peut donc prêter à sourire voire à rire, qu’elle peut amuser tout en respectant les règles formelles les plus rigoureuses, oscillant entre textes plaisants (l’anthologie s’ouvre ainsi sur un extrait du Dit de l’herberie de Rutebeuf, morceau de choix pour qui veut sourire de la pharmacopée inventive du Parisien d’adoption), et textes satiriques ou éloges paradoxaux (on pense en particulier au Mondain de Voltaire). Parfois, Lecompte rejoint André Breton et son Anthologie de l’humour noir, mais sans en être le décalque : il est juste inévitable que certains textes choisis par le surréaliste trouvent leur place dans une anthologie dédiée à la Poésie comique, en particulier le célèbre Pauvre honteux de Xavier Forneret, qui fait plutôt grincer des dents que sourire, ou alors d’une bouche crispée à la limite de l’amertume…
Brassant large, Lecompte inclut dans son anthologie tout ce qui peut inciter les zygomatiques à plus ou moins se crisper (la « tétanisation crispée » évoquée par Desproges), que ce soit avec gravité, avec férocité ou avec légèreté. Des fables de La Fontaine sont ainsi proposées juste après une satire signée Nicolas Boileau, et quelques pages avant, une perle méconnue de la plume de Musset, un extrait de Namouna, Conte oriental, qui semble préfigurer les jeux sur l’absurde d’un Raymond Devos ou d’un autre Raymond, Queneau, lui aussi présent pour deux extraits de L’Instant fatal. L’humour, même si le terme n’est pas d’application avant la fin du dix-septième siècle car alors anachronique, est donc à fréquenter ici dans toutes ses variantes, y compris la plus potache avec la célèbre Vénus Anadyomène d’Arthur Rimbaud.
Ces variantes sont expliquées dans le « Dossier » proposé en fin de volume, qui comprend une « Histoire littéraire » de la poésie comique, ainsi que quelques définitions bienvenues pour recadrer le propos, et des « Groupements de textes » permettant la confrontation entre divers auteurs qu’unisse la même intention, satirique ou paradoxalement élogieuse. La suite du dossier est à réserver aux lycéens se préparant au Bac – encore qu’il n’est jamais mauvais de se rafraîchir l’esprit quant à la technique du commentaire textuel ou celle de la dissertation.
Cette anthologie permet surtout de se rafraîchir l’esprit quant à la multiplicité des objets dont peut traiter la poésie, des plus anodins en apparence (le Blason du Beau Tétin de Marot) aux plus préoccupants (le fameux Assommons les pauvres ! de Baudelaire), mais toujours avec le sourire, cette arme puissante que fait peu à peu taire le politiquement correct. Car c’est peut-être le plus remarquable dans cette anthologie : constater à quel point les époques qui nous précèdent ont su mettre les formes (poétiques) pour se moquer de leurs propres travers. Elle n’en est que plus recommandable.
Didier Smal
Stéphanie Lecompte est agrégée de lettres modernes et docteur ès lettres.
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