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La marchande d’oublies, Pierre Jourde (par Laurent LD Bonnet)

Ecrit par Laurent LD Bonnet le 18.12.25 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La marchande d’oublies, Pierre Jourde, Gallimard août 2025, 656 p. 25 €

La marchande d’oublies, Pierre Jourde (par Laurent LD Bonnet)

 

Progresser dans nos quêtes, l’Art ne sert qu’à ça :

“That’s the way to do it ![1]

 

On ne peut dénier à Pierre Jourde la cohérence avec laquelle il fait œuvre. Dans une filiation gracquienne, il n’a jamais mâché ses mots à l’égard de la société du spectacle littéraire, et de la tartufferie critique qui l’accompagne. Il le sait, le trop de lumière tend à faire du masque médiatique un visage, et détruit le créateur. Aussi Jourde a-t-il toujours privilégié les rencontres, entretiens écrits, podcasts, vidéos sur des plateformes littéraires ou cultures alternatives et, avant de se lancer vraiment dans l’affaire-roman (après de nombreux essais et Carnage de Clowns en 99) prit-il soin de fourbir son arme ultime d’essayiste.[2]

Pari gagné en 2002, avec le prix de la critique de l’Académie. Tout y fut dit, depuis la pauvreté d’écritures encensées, jusqu’à la compromission de critiques serviles. Manière de s’écrier, avant de monter s’installer sur le grand ring : “Que ceux qui se risqueraient à m’attaquer soient prévenus. Je n’épargnerai personne.” Ceci est une fiction, bien sûr, mais on ne peut s’empêcher d’y penser quand on a lu La littérature est un sport de combat, bannière-manifeste qui sonna en 2015 comme une confirmation : On n’est qu’à mi-match !

Dix ans plus tard, que de combats, que de coups pris ! avant d’oser La marchande d’oublies.

Et que de travail, de savoirs et de recherches assemblés en une œuvre que Gary aurait immédiatement accueillie dans la grande famille du roman total,[3] en place d’honneur au banquet des identités démultipliées. Cela donne ce qu’il est convenu d’appeler un pavé ; norme jadis encensée ! Et il faut remercier l’éditeur d’oser encore ce pari. Serait-il prémonitoire d’un retour (enfin ?) au roman-monde. Des indices semblent poindre au milieu des poussières que soulèvent à l’horizon les sabots des cavaliers de l’Apocalypse algorithmique. Oui, ce serait heureux que l’on comprenne que de telles architectures volumineuses, imperfections intégrées, ne peuvent qu’être humaines. Le roman-monde évitera de se fourvoyer dans la dénonciation désormais convenue de la malbouffe littéraire, qui elle, déjà modélisée, ne fera plus que se démultiplier, comme le burger, sous pléthore d’enseignes. Si un doute subsistait, il n’est qu’à observer la progressive disparition de catégories entières de scénaristes d’Hollywood qui font semblant de découvrir qu’ils avaient formaté leurs propres imaginations à produire des histoires standardisées à la chaîne. Gageons qu’en matière littéraire, est en train de se préparer une quantité phénoménale d’épopées des métastases, viols ou incestes, toutes garnies de motifs conçus pour l’appétence augmentée, donc prometteuses de puissants revenus.

Alors, restons humains ! À l’aune de La marchande d’oublies où Jourde joue ses gammes, où chaque ingrédient du style contribue à la sensation ; il y arrive qu’on trébuche, mais peu, et, une fois pris le pli de la voix, la richesse des mots est là pour stimuler, parfois en peinant, c’est le jeu de la complexité, et l’auteur n’en est pas le seul responsable, nul lecteur n’est tenu à une performance de concentration sans écarts. Cependant, on comprend vite que le roman nous emmène à suivre un rythme où peu importe le temps, si l’on veut honorer le travail : ce gars a fait un sacré job ! Et même si la structure narrative commence par décontenancer – c’est surtout dû à l’emplacement de quelques propositions incises arrivant un peu tard – cela ne dure pas, et là aussi on “prend le pli” Jourde. L’angle progressif des récits enchâssés est adopté, c’est un œuvre de maturité, à l’évidence. Auster était aussi parvenu à ce sommet d’harmonie complexe. A vingt ans, il eût été incapable de concevoir 4 3 2 1. Ici la structure narrative n’est pas précisément la même, cependant son architecture narrative nous aspire sans rémission dans un maelstrom de 19 révélations alternatives des vies d’Alastair, Thalia et Charles.

Le sens du titre et son rôle métaphorique, ainsi que les résumés, fleurissant à l’envi, je n’expose ici que le nécessaire pour comprendre l’objet de cet article : Alastair et Thalia sont frère et sœur dans une famille de clowns anglais du début du XIXe siècle ; à cette époque, de telles compagnies (grandes pourvoyeuses de monstres humains, et de mises en scène le plus souvent macabres) déferlèrent sur l’Europe et les États-Unis. Mode très populaire ; le roman ne pose pas la question des raisons de cet avènement conjoint au développement monstrueux de la société industrielle, ce n’est pas le propos de l’auteur qui s’intéresse à autre chose : les mythes et la place ontologique de l’art dans l’âme humaine. Pour cela il expose et construit une fiction et ses personnages, tous issus du réel – le roman est très documenté – puis il nous embarque dans les quêtes existentielles d’une petite part du peuple clown, la famille des Helquin, plus précisément celle d’Alastair qui, dégoûté du sexe par une mère délétère, s’est éperdument jeté dans une quête de pureté. Aussi dans celle de Thalia, sa jeune sœur tombée en catalepsie, et qui, réveillée un jour par Charles le médecin aliéniste en quête d’amour, sollicite la beauté du monde. La succession des 19 binômes de chapitres commence au moment où Charles, revenu un soir dans la maison où ils vivent tous deux à l’écart du village, raconte qu’il a croisé Alastair dans le train. Un Alastair devenu monstrueux, possédé par de nombreux démons multiformes.

 

Donc l’Art

C’est le propos, on ne le comprend que progressivement, car âmes sensibles, commencez par vous tenir prêtes ! Vous allez être immergées dans les souvenirs d’Alastair (racontés à Charles et répétés à Thalia), et cela, tout au long du roman. L’étrangeté la plus terrifiante se mêlera à une inquiétante demande de pureté, c’est heureusement narré avec finesse : “Mesdames et messieurs, grâce à ce couteau spécialement aiguisé, je vais devant vos yeux séparer l’apparence de la demoiselle du corps de mademoiselle, c’est une opération délicate durant le déroulement de laquelle je vous demanderai d’observer le plus grand silence, attention…” Alastair (devenu Punch) vient de découper le visage d’une gamine croisée au hasard de ses errances ; et plus loin : “Punch se souvenait de ces nuits d’enfance où le visage de sa sœur lui était apparu aussi absolu, aussi parfait, dans sa présence fascinante, que le visage de la lune. Punch n’était que l’exécuteur de la lune.” En conclusion : “That’s the way to do it.” Ce sera son leitmotiv tout au long du roman. Puis à Charles, terrifié : “Je sais bien que vous prenez Punch pour une brute et un fou... Vous vous trompez, cher docteur, malgré vos compétences. Vous confondez folie et lucidité. Et Punch est un idéaliste, un raffiné.

On veut bien le croire, ce Punch, on veut bien le croire… c’est le tour de force de l’auteur, car l’exposé des faits n’étant jamais “gore”, il emmène quiconque serait, a priori, rebuté par l’exposé des parts monstrueuses de l’âme humaine, à les fréquenter tout de même. À cet effet, le principe esthétique est maîtrisé sur le bout des doigts ; cela eût été un point faible si le procédé n’avait été qu’au service de l’horreur. Or ce n’est pas le cas. Pour trois raisons.

Les quêtes. Celles des personnages : pureté (Alastair) beauté de l’amour (Thalia), amour iconisé (Charles). Leur entrelacement narratif permanent les rend puissantes. Aucune n’aboutira vraiment, leur chemin est trop long et le roman se terminera au cimetière des quêtes inachevées. Mais ce qui a parlé tout au long de la lecture, c’est la densité, la granularité des besoins, les imaginaires déployés, l’énergie folle qui aura habité ces trois-là. La tension en est permanente, et chacun est tiraillé par ses contraires. Alastair lui-même en devient, si ce n’est estimable, au moins compréhensible : il a subi un conditionnement à un âge où tout s’imprime, où la capacité à choisir n’est pas encore armée d’outils d’un libre arbitre, un âge au cours duquel les qualités d’âmes s’avançant au-dessus du vide, un mauvais guide suffit à les faire basculer. Et Charles, est-il moins monstrueux, ce déserteur de la médecine qui choisit de disparaître en emportant le corps de sa patiente au bois-dormant ? Est-il moins monstrueux, ce quêteur d’amour absolu qui, possédant le “corps clinique”, pense pouvoir, quand Thalia se réveille, exercer le pouvoir d’un éternel recommencement en imaginant et jouant avec elle (à chaque fois neuve au monde, espère-t-il), une infinité de scénarios de séduction ? C’est elle, Thalia, qui en acceptant les jeux, va mener leur couple jusqu’au bout des personnages imaginaires qu’ils se jouent l’un à l’autre. In fine, Judy et Armand sont inventés par elle ; ils mèneront Thalia et Charles, par la métaphore quasi intertextuelle d’un fiacre (celui-ci au pouvoir abouti), jusque dans la cour de ferme d’une auberge où ils se coulent “dans un sommeil si profond, si complet, que la nuit ne s’en est jamais tout à fait achevée, et qu’elle dut laisser un minuscule accroc d’éternité dans l’étoffe du temps.” Thalia venait de demander à Charles : “Crois-tu, mon amour, qu’il nous faille encore des histoires ?” Et Charles répond : “Peut-être nous fallait-il des histoires pour nous débarrasser des histoires…” Qu’est-ce que le réel ? questionne l’auteur, sinon le contournement ou l’abandon de la fiction. Sauf que…

Le côtoiement : Aucune vie humaine n’est possible sans imaginaire. L’évolution a fondé ce principe depuis la première pierre cassant la première noix. Geste dont on connaît le devenir : quelques millions d’années après, on érigeait des pyramides pendant qu’on racontait : “Il était une fois un homme qui tua un géant d’un seul coup de fronde.” Chaque apogée de savoir[CM1] -faire côtoie des légendes, la fiction est constitutive de l’humain. Signera-t-elle sa perte ? Peut-être, mais en attendant elle a toujours demandé plus de place, ce qui, historiquement, a amené l’existence des pires monstruosités à côtoyer la beauté dans ses expressions les plus abouties. C’est un irrésolu ontologique, une aporie qui partout s’est répétée sur la planète, dans la trame des organisations sociales, jusqu’à l’échelle des individus, donc dans ce roman, où la famille Helquin devient une parabole possible du côtoiement – ici dans un même terreau génétique et d’éducation – par la grâce et la beauté de Thalia, immergée dans une fratrie [CM2] d’une laideur morale achevée, puisque chacun n’y travaille qu’à la pérennité du modèle économique de la troupe – acrobaties macabres et monstruosités en tout genre. On s’interroge : ce regard d’aujourd’hui est, certes anachronique, mais permet de mesurer l’évolution des mœurs en un siècle et demi. En sommes-nous si loin ? Les occasions sont nombreuses, au cours du roman, de peaufiner la réponse, car la dramaturgie est servie par une idée forte qui vient casser le code de fatalité absolue infusant dans le macabre microcosme de cette famille de clowns : Alastair chute, provoquant la catalepsie de la sœur. Et craque la trame du mauvais destin ! Et s’y insère Charles, médecin aliéniste qui va révolutionner son propre rôle. Le trio est là. Le côtoiement est en marche.... Ouvrons d’ailleurs une parenthèse ! Pour s’extraire du réel de cet article – après tout, au cœur d’un tel univers de mises en abyme, cela semble possible, car, aura-t-on envie de se demander en refermant le roman, – sans que ce ne soit jamais suggéré : imaginer et construire le personnage d’un Charles médecin qui, sans jamais varier de son amour, va s’éprendre d’une belle endormie qu’il portera jusqu’à l’acmé de leur fusion à bord d’un fiacre imaginaire, n’est-ce pas se révolter ? Et offrir une seconde vie à celui qui, débonnaire et un peu vil, selon certain, mourut sous sa tonnelle, tête renversée contre le mur, les yeux clos, la bouche ouverte, tenant dans ses mains une longue mèche de cheveux noirs ? L’intertextualité est, soit fort habile, soit d’une belle inconscience. Personnellement, la fin de cet homme m’ayant infiniment attristé, je vois là une réparation méritée.

D’autant mieux que le Charles épris de Thalia fait preuve d’une imagination, d’une carrure morale et esthétique, telles qu’elles résisteront aussi bien à l’horreur que lui inspirent les monstruosités racontées par Alastair, qu’à la peur de voir sa vengeance s’abattre sur lui et son amour. Ainsi, à la lecture de La marchande d’oublies, ressent-on et voit-on la beauté et l’amour (pétris de rêves et du réel que partagent Charles et Thalia), côtoyer sans cesse l’évocation (que l’on voudrait irréelle), des horreurs accomplies et narrées par Alastair. Côtoiement rendu d’autant plus prégnant que la prose juste, efficace et suggestive de Jourde, alliée à l’entrelacement permanent des histoires, rend une sensation de plausible, parfois difficile à supporter. Les clowns en eux-mêmes n’y sont pour rien, on peut éprouver le même sentiment de retrait à la lecture de certains passages de Salammbô. On parle donc ici de puissance d’évocation. Dont, à la lecture, nous sommes sauvés (comme le sont les personnages au fil de leurs découvertes, souvenirs ou rencontres), par l’omniprésence de l’Art. Jourde le clame tout au long du roman : l’Art reste l’expression sans cesse inaboutie de la pensée humaine consciente d’elle-même, et surtout, de sa finitude.

L’art.

C’est Thalia qui en déclare le manifeste à Charles : “Il se nourrit de la mort. […] il n’y a pas d’art possible sans la prégnance de la mort. Tu sais, c’est une idée que j’ai eu très tôt, à force de jouer dans les scénarios macabres de mes frères. Il n’y a rien de plus fécond, de plus fantaisiste, de plus drôle que la mort.

Et tout au long du roman, l’Art sous toutes ses formes s’exprime et vient s’entremêler au devenir des trois personnages.

Florilège : Alastair se souvient avoir été profondément marqué dans son enfance par “une potée de vers shakespeariens que [le clown Boswell] vomissait plus qu’il n’articulait.[4] Il est encore capable de les réciter à Charles. Puis Thalia raconte à Charles, qu’à dix ans, en larmes devant le tableau de Rembrandt Les Pèlerins d’Emmaüs[5], il lui semblait que cette scène lui promettait qu’à elle aussi, un soir peut-être, “serait donnée l’inimaginable vision de la joie, de la joie stupéfiante, au bord de laquelle on hésite, parce que “on ne sait pas la reconnaître dans ses véritables vêtements de mort et de deuil.” Et Charles qui, dans une des premières fictions mises en scène au secret de la villa, transforme une scène de Macbeth, en demandant à Thalia, douée d’un impressionnant pouvoir ventriloque, d’en jouer les six voix.[6]

La dramaturgie du roman est ainsi nourrie d’étapes initiatiques qu’actionnent ou subissent les personnages : Alastair qui fouaille sa mémoire pour y retrouver le souvenir d’une des nombreuses et “ignobles rengaines des faubourgs”, la complainte de la femme coupée[7]. L’auteur lui-même guide Charles qui s’empare de Mallarmé en clamant à Thalia son projet de héros effarouché. Elle, réveillée, encore envoûtée par une voix émergeant de son passé de Belle endormie, reconnaît celle de Charles qui lui raconte sa propre histoire. Ainsi vient à l’âme la saveur du mythe. Et s’interrogeant sur le pouvoir de cette magie, Thalia comprend qu’elle-même le lui confère. Parce qu’elle se découvre habitée par le souvenir d’une autre voix, dont jadis elle avait intimement ressenti l’appel niché au cœur d’une Nouvelle de Gérard de Nerval.[8] Puis nous voici à nouveau entrelacés entre les narrations de Charles et Thalia, par l’émergence dans le récit d’un motif appelé à grandir dans le récit : l’amour iconisé dans sa forme la plus pure, proche de la mort, symbolisée par l’adoration que porte Charles au portrait de Dante Gabriel Rosseti, Beata Beatrix, fusion imaginaire de la Béatrice de Dante et de sa propre femme Élisabeth Dinsdale, décédée. “Charles me racontait souvent l’histoire du portrait en me brossant les cheveux, tandis que j’étais gisante idéale…[9] commence par raconter Thalia. Et lorsqu’elle s’éveille : “Alors consciente du lieu et du temps, je n’ouvrais pas encore les yeux, pour ne pas voir ce décor qui s’associait à mon rôle…” Charles iconise. Thalia, toujours envoûtée, résiste : elle a quitté le monde à seize ans, et y revient en se découvrant pleinement femme. Ce seul chemin l’effraie et l’attire. Ce n’est pas du désir. Pas encore. Dès lors, le propos du roman commence à s’éclairer : de ce portrait jusqu’à la dernière fiction mise en scène, Thalia va essayer, sans perdre l’amour de Charles, de reprendre la main sur l’iconique Vita Nuova à laquelle aspire Charles, même s’il la traite de “vieille illusion poétique”, et même s’il cherche à la persuader qu’il fallait absolument que leur vie “soit la cérémonie que l’on déroule pour que le dieu puisse se manifester, un jour, sans savoir s’il le fera jamais.”

Ainsi Jourde – comme transcendé par la voix de Baudelaire dans Les Phares[10] – se mue en passeur de mythes, menant sa gondole poétique, Thalia et Charles à bord, la poussant le long de canaux où déclament Dante, Shakespeare, Huysmans, où résonnent Les Fleurs du mal et les profondes nappes harmoniques de Thanauser, le double concerto pour violon de Bach, et d’autres motifs plus communs… Tous rappelant que dans l’évolution de la psyché, l’Art (et son principal constituant d’inspiration, l’Amour), depuis sa première expression, a constitué le fil rouge offrant à l’humain de s’extraire de la sauvagerie. À peine trente mille ans séparent le cerveau du monstrueux Alastair de ceux d’une époque d’anthropophagie ritualisée, ou bien le cerveau qui sculpta dans l’ivoire la Vénus de Brassempouy, de celui qui peignit Beata Beatrix ; à peine mille cinq cents générations pour l’épaisseur d’une fine trame de neurones. Cela semble si fragile. C’est pourquoi des consciences en éprouvent le pressentiment, si ce n’est le désespoir, en cette aube d’un second millénaire où semblent poindre les nombreux fantômes d’une néo-sauvagerie mondialisée. La marchande d’oublies est une de ces consciences. Concomitante avec celle d’un essai, à l’autre bout du spectre littéraire, qui proclame : “Si un jour l’art disparaît de notre horizon, si sous les coups du panrelativisme il se réduit à un secteur parmi les autres secteurs de l’activité humaine, l’homme n’aura plus aucun repère absolu pour asseoir son humanité.”…”C’est l’art qui nous fait sentir que nous sommes humains.[11]

Et, nous glisse Jourde avec La marchande d’oublies, ce n’est pas réservé aux seuls artistes, ni même aux chanceux qui en auraient fait l’expérience grâce à leur éducation. Il suffit parfois du passage d’un cirque, d’une lumière effleurant une part de tableau, d’une révélation au coin d’une rue, d’un regard ou d’une partition, d’une voix, d’un poème ou d’un roman. Et dans ce court instant de grâce, même aux monstres se présente parfois la chance de s’élever.

 

Laurent LD Bonnet

 


[1] C’est comme ça qu’il faut faire.

[2] La littérature sans estomac – L’Esprit des Péninsules, 2002 - Pocket 2003

[3] Romain Gary dans Pour Sganarelle, oppose explicitement le “roman total” (qu’il valorise) au “roman totalitaire” (qu’il critique). Pour Gary, le roman total est ce qui fait du personnage un “réceptacle d’identités démultipliées”, alors que le roman totalitaire enferme le protagoniste dans une identité unique, fixe et fermée.

[4] P 29-30

[5] P 78. Deux tableaux portent ce nom. Il s’agit de celui présent au musée Jacquemart-André.

[6] P 112-114. Athropos, Hécate, Clotho, Orphée, Lachésis, Apollon

[7] P 195

[8] P272

[9] p 305

[10] Spleen et Idéal VI Les phares

[11] L’Être et le roman, Lakis Proguidis, éd du Canoë.


 



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A propos du rédacteur

Laurent LD Bonnet

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Laurent LD Bonnet est un auteur français dont les premières nouvelles paraissent en magazine en 1998. Engagé dans l'écriture d'une Tétralogie de la quête, il signe son premier roman,  Salone (Vents d’ailleurs 2012), sur  le thème de la vengeance, prenant pour cadre l'histoire de la Sierra Leone de 1827 à 2009. Salué  par la critique, le roman obtient le  Grand prix du salon du livre de La Rochelle, puis le prix international Léopold Sedar  Senghor. Son deuxième roman Dix secondes (Vents d’ailleurs 2015), aborde le thème de la rencontre amoureuse, avec un clin d’œil décalé au poème de Baudelaire, "À une passante". Le dernier Ulysse,

(les défricheurs 2021) troisième roman de la Tétralogie, interroge la créativité comme essence même d'une humanité submergée par la dérive marchande. L'engagé (les défricheurs 2022), essai pamphlétaire, est un dialogue intérieur avec Jack London. En 2021, la revue Daimon lui a consacré un numéro (Les évadés) comprenant plusieurs nouvelles inédites.

Lien : www.laurentbonnet.eu