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La grandeur Saint-Simon, Jean-Michel Delacomptée (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy 05.02.12 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Biographie, Essais, Gallimard

La Grandeur, Saint-Simon. Gallimard (L’un et l’autre). Novembre 2011. 222 p. 19 €

Ecrivain(s): Jean-Michel Delacomptée Edition: Gallimard

La grandeur Saint-Simon, Jean-Michel Delacomptée (par Léon-Marc Levy)

 

C’est un chemin étroit et rare qui est emprunté par ce livre, et de façon plus générale, par cette collection « L’un et l’autre » de Gallimard. Disons d’abord ce que cela n’est pas : ce n’est pas une biographie. Le titre de ce livre particulier aurait pu le laisser entendre. Une biographie de Saint-Simon. Ce n’est pas non plus une œuvre de fiction. Et n’étant ni l’un ni l’autre, on retrouve le nom de la collection : c’est « l’un et l’autre ».

A la fois mises en situation fictionnelles, dialogues fictionnels, événements mineurs fictionnels et pourtant tout ce récit des années « Mémoires » de Saint-Simon s’appuie sur une solide et rigoureuse connaissance biographique de l’homme Saint-Simon et de l’œuvre saint-simonienne.

On y retrouve avec délectation l’observateur génial des mœurs de la cour et des courtisans du temps de Louis XIV et Louis XV. Le moraliste intransigeant et militant qui, à sa manière, dénonce déjà les travers d’une monarchie qu’il voit avec préscience en train de scier la branche sur laquelle elle est assise.

«  Pour la dédommager de la rupture, le duc d’Orléans offrit à Mme d’Argenton une fortune qui, tout compris, en pierreries, propriétés, pensions, dépassait les deux millions de livres. Ce montant équivalait au centième des deux cents millions de recettes globales du Trésor Public de l’année 1709, où un hiver aux fleuves gelés produisit une famine exceptionnelle dans les villes comme dans les campagnes, traduite par des armées de squelettes en haillons qui mendiaient aux portes des palais (…) »

 

Jean-Michel Delacomptée se glisse avec une jubilation évidente dans la peau de Saint-Simon. Est-il fidèle à l’homme, à ses colères, ses ravissements, ses éclats ? Peu importe. Pour qui a lu les « Mémoires » de Saint-Simon, il est évident qu’il est fidèle aux valeurs de l’homme et c’est bien là l’essentiel. Que l’auteur en remette sur les aspects les plus spectaculaires du personnage, on ne s’en plaint pas. Bien au contraire cela nous vaut des morceaux de bravoure inoubliables.


« … Pour clore par une fripouille bien sordide choisie parmi tant d’autres la liste des abattages qui expliquent sa réputation de petit duc acerbe, la mise en pièces du cardinal Dubois, gnome spectral à face de fouine sous une perruque blondasse qui barbotait dans les cloaques d’une intrigue sans limites, étron satanique dont il possédait, au château de la Ferté-Vidame, dans un réduit qui servait de lieu d’aisances, accroché près d’une chaise percée au dossier de velours, le portrait en estampe. »


La jubilation de Jean-Michel Delacomptée est hautement contagieuse. C’est avec un bonheur sans mélange que nous nous retrouvons, pour quelques 200 pages remarquablement écrites dans un style pugnace, « amis » avec le grand Saint-Simon, dans ses pas, dans ses fracas, dans ses tracas, dans ses combats. « Amis » de l’homme qui voyait tout et tous autour de lui et que l’on ne voyait jamais. Sa maison était tapissée de tableaux des plus grands personnages de son temps. Aucun tableau ne l’a jamais représenté lui.

Pas un instant d’ennui, dans cette « fiction réelle », scandée au loin par la chanson de la langue de Saint-Simon. Langue unique, à laquelle l’auteur de ce livre rend un double hommage, en adoptant son énergie et en faisant l’apologie :


«  C’est une langue foncièrement libérée des régents de collège, humorale, cravachée, pétulante, gonflée d’excès rageurs, boursouflée d’hyperboles, de métaphores farouches, d’incidentes à rallonges, dont le déferlement catapulte des adjectifs énormes dans des rafales de verbes qui se bousculent avec l’énergie d’une épopée sauvage. »


On sort décoiffé de cette lecture. Et plus que jamais attaché à l’œuvre immense de Monsieur de Saint-Simon.


Léon-Marc Levy


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A propos de l'écrivain

Jean-Michel Delacomptée

 

Après des études de lettres, Jean-Michel Delacomptée a occupé les postes d’enseignant à l’Institut français de Kyoto puis de conseiller culturel à Jérusalem avant de remplir différentes fonctions au ministère des Affaires étrangères. Maître de conférences habilité en littérature française, il a ensuite enseigné à l’université. Il dirige désormais la collection Nos vies qu’il a créée en 2015 aux éditions Gallimard. Sa production d’écrivain consiste principalement en des portraits de personnages historiques et de gens de lettres, principalement aux éditions Gallimard (Madame la cour la mort, Et quun seul soit lami, Le Roi miniature, Racine en majesté – Flammarion –, Je ne serai peintre que pour elle, Ambroise Paré, la main savante, Langue morte, Bossuet, La Grandeur Saint-Simon, puis Adieu Montaigne en 2015 chez Fayard). Mais il a également publié dans d’autres genres, comme un Petit éloge des amoureux du silence, deux romans (Jalousies, La Vie de bureau), une analyse de La Princesse de Clèves, Passions, chez Arléa (2012), ou un livre plus autobiographique, Écrire pour quelquun (2014).

 

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /