La Dérive des sentiments, Bernard Caprasse (par Patrick Devaux)
La Dérive des sentiments, Bernard Caprasse, éditions Weyrich, Coll. Plumes du Coq, mars 2022, 384 pages, 18 €
Dans cette saga familiale l’auteur appréhende le milieu d’une certaine bourgeoisie où se mêlent intrigue, amour et manipulations tandis que les différentes époques, sont bien rendues, le 20ème siècle durant, avec le parcours d’Héloïse, bien née matériellement, partiellement infirme et suscitant toutes les convoitises.
Comme dans son roman précédent, Le Cahier orange, l’auteur s’investit totalement dans ses héros scrutant avec une empathie très personnelle la profondeur des âmes révélée par les situations, sans oublier quelques références historiques desquelles le romancier est friand. L’inattendu semble devenir la réalité avec cette plume précise qui, à nouveau, resitue avec brio les lieux de la campagne ardennaise que connaît bien l’ancien gouverneur de la province du Luxembourg.
Progressivement des mondes différents s’entrechoquent avec, notamment, la vision de Bertrand Taverneux, étudiant en droit et sa rencontre déterminante avec Charlotte Lasti, une jeune fille pleine d’idéal : « En novembre 1970, le ministre de la Justice décida l’expulsion des étudiants étrangers qui ne disposaient pas de ressources propres ou ne possédaient pas le certificat de bonne conduite délivré par leur pays d’origine. La communauté universitaire s’embrasa. A Louvain, une soixantaine d’étudiants et d’étudiantes entamèrent une grève de la faim. Charlotte Lasti, révoltée par la détresse de ses condisciples menacés de renvoi, rejoignit – elle était la seule fille – le comité en charge de l’organisation du mouvement ».
Ce roman, plein d’humanité avec notamment la perception des êtres pris dans le tourbillon de leurs destins croisés, donne une place prépondérante aux rôles des femmes, victimes ou intervenantes, à motiver ou subir cette « dérive des sentiments ».
Le destin, on le sait, a plus d’un tour dans son sac. Également l’auteur qui, jusqu’au bout de son intrigue mène le lecteur aux destinées qu’il a choisies pour ses héros tandis qu’une action pacifique, symbolique, vire au drame.
Le style de Bernard Caprasse bénéficie d’une dynamique interne propre suivant le récit, ce en quoi je le rapprocherais volontiers de celui de Flaubert avec, en outre, un vrai sens du dialogue courtement efficace :
« – Marc, peux-tu m’aider ?
Une atmosphère suspendue, des regards croisés d’une intensité acérée.
– Un jour, tu m’as secouru en t’accusant à ma place. Tu te rappelles ?
Oui, enfin, ce n’était pas grand-chose ».
Les chapitres, courts, sont, eux, ouverts à l’intrigue et au processus de continuité dans un style vraiment pur et quelque part innovant dans le ton.
Patrick Devaux
Bernard Caprasse obtient une licence en droit à l’Université catholique de Louvain en 1972. Il commence sa carrière comme avocat à Bruxelles de 1972 à 1975, puis à Marche-en-Famenne jusqu’en 1996. Il est nommé gouverneur de la province de Luxembourg le 4 juin 1996, et se retire de ses fonctions en janvier 2015. Auteur d’une pièce de théâtre (Le Gouverneur oublié). Un premier roman, Le Cahier orange, a également été publié aux éditions Weyrich en 2021. La Dérive des sentiments est son deuxième roman.
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