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L’usure d’un monde, Une traversée de l’Iran, François-Henri Désérable (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 16.06.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Voyages, Gallimard

L’usure d’un monde, Une traversée de l’Iran, François-Henri Désérable, Gallimard, mai 2023, 160 pages, 16 €

Ecrivain(s): François-Henri Désérable Edition: Gallimard

L’usure d’un monde, Une traversée de l’Iran, François-Henri Désérable (par Philippe Chauché)

 

« La terre craquelée, les dunes de sable, les crêtes rocheuses, l’ocre et le beige, coupés quand vient le soir d’un vert cendreux… Il faudrait être au moins Lawrence d’Arabie pour décrire le désert. J’aimerais savoir le faire. Je ne sais pas. Il doit y avoir comme ça quelques paysages seulement faits pour être vus ».

« L’agrément dans ces lents voyages en pleine terre, c’est – l’exotisme une fois dissipé – qu’on devient sensible aux détails, et par les détails, au provinces. Six mois d’hivernage ont fait de nous des Tabrizi qu’un rien suffit à étonner » (1).

L’usure d’un monde doit beaucoup au récit de Nicolas Bouvier – L’Usage du monde est devenu ma Bible – notamment celui de la traversée de l’Iran, découvert par l’écrivain à l’âge de vingt-cinq-ans, et comme lui, il va se rendre en Iran pour prendre la vraie mesure du monde, en même temps que son pouls.

Nous sommes en 2022, l’Iran n’est plus celui qu’a traversé Nicolas Bouvier et son complice Thierry Vernet, le pays est sous le joug des mollahs, son pouls s’affole, et la loi islamique s’applique à la lettre et par le sang. François-Henri Désérable ne se mue pas en journaliste téméraire, en héros de la résistance aux dictatures la plume à la main, il s’envole pour l’Iran pour voir, et écrire, pour écrire ce qu’il voit, voir ce qu’il ne peut écrire, et écouter ce que lui disent les Iraniens qu’il rencontre sur la route, dans la rue et les auberges.  Une parole qui vaut de l’or et qui ne peut plus se perdre. Trois mots résonnent dans les rues d’Ispahan, trois mots qui passent d’une bouche à l’autre, qui s’écrivent la nuit à la sauvette, et sont vite recouverts à la bombe de peinture par les pasdarans : Zan, Zundegi, Azadi, Femme, Vie, Liberté. Trois mots qui vont accompagner l’écrivain dans son voyage dans un pays en révolte et peut-être en révolution. Trois mots qui écrivent le roman de l’Iran aujourd’hui, et qui peut-être écriront celui de demain.

« Depuis quarante-trois ans, et même bien davantage, la peur était pour le peuple iranien une compagne de chaque instant, la moitié fidèle d’une vie. Les Iraniens vivaient avec dans la bouche le goût sablonneux de la peur. Seulement, depuis la mort de Mahsa Amini, la peur était mise en sourdine : elle s’effaçait au profit du courage ».

L’usure d’un monde est un carnet de voyage vibrant, où l’auteur s’immerge dans la vie Iranienne, y croise des jeunes gens en colère et en révolte contre le régime islamique et son voile fétiche qui dissimule, les femmes, la vie et ses frémissements. Leurs paroles circulent dans le livre, et le fécondent superbement, comme circule L’Usage du monde, et d’autres livres lus par l’écrivain et qui trouvent là, un autre écho, une autre destinée, comme circulent villes, villages, ciels et paysages que traverse François-Henri Désérable. La force de ce livre, tient à sa légèreté, la souplesse de son style – il ne faut pas oublier qu’il fut un temps joueur professionnel de hockey sur glace –, mais aussi à la profonde émotion qui s’y glisse, aux éclairs de vie qu’il nous offre, à la manière des Iraniens l’invitant à boire un thé, à ce miroir qu’il promène le long du chemin (2).

Ce livre est aussi celui de la peur qui elle aussi circule de bouches à oreilles, peur des coups, des prisons, des viols et de la mort, mais cette peur ne vitrifie pas les mots inscrits sur les murs des villes et les roches qui les surplombent, des mots qui vivifient la vie, et qui hantent les mollahs et les Gardiens de la révolution.

L’Usure d’un monde est le livre d’un écrivain voyageur aux aguets, d’un observateur rigoureux et attentif qui donne en une phrase vie à un visage, corps à une phrase, qui à la manière des derniers adeptes de Zarathoustra, alimentent le feu de la vie, qui est aussi celui de l’écriture.

 

Philippe Chauché

 

(1) Téhéran, avril-mai, Nicolas Bouvier, L’Usage du monde, récit, Dessins de Thierry Vernet, Editions La Découverte (1985)

(2) « Un miroir que l’on promène le long d’un chemin : c’est la définition du roman par Stendhal. Mais Stendhal s’est trompé. Le miroir que l’on promène le long du chemin, c’est le récit de voyage ».

 

François-Henri Désérable publie son premier livre Tu montreras ma tête au peuple, en 2013 sous les heureux hospices de Philippe Sollers dans L’Infini chez Gallimard. Puis on lui doit Évariste ; Un certain M. Piekielny ; et Mon maître et mon vainqueur ; tous publiés par Gallimard.

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A propos de l'écrivain

François-Henri Désérable

 

François-Henri Désérable a publié deux romans aux Editions Gallimard : Evariste*, et Tu montreras ma tête au peuple. Il collabore à la revue L’Infini. Ancien joueur de hockey sur glace professionnel, il a porté les couleurs des Vipers de Montpellier, du Lyon Hockey Club et des Gothiques d’Amiens, aujourd’hui il se consacre à l’écriture romanesque. Les romans de Romain Gary sont publiés par les Editions Gallimard.

* http://www.lacauselitteraire.fr/evariste-francois-henri-deserable

 

A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com