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L’ombre s’allonge, Jean-Paul Goux

Ecrit par Marie-Josée Desvignes 21.06.16 dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Roman

L’ombre s’allonge, avril 2016, 144 pages, 15 €

Ecrivain(s): Jean-Paul Goux Edition: Actes Sud

L’ombre s’allonge, Jean-Paul Goux

 

C’est un ami et c’est un frère, c’est un si proche qu’on ne veut le voir partir. Il est là, dans son lit et on attend le verdict, sans savoir qu’il n’y en aura pas de positif. Ce qu’on croit alors c’est que s’il rouvre les yeux, tout sera comme avant. Mais jamais on ne pense qu’il en sera définitivement autrement. « Ce qu’on croyait être le pire et qu’on appelle la fin, quand le pire n’est pas encore concevable ». Pudeur et silence d’une écriture fine et douce, par la voix de ce couple d’amis Vincent et Clémence qui nous ramènent les souvenirs d’une amitié partagée avec cet être dont le portrait fragile illumine les pages par sa présence d’absent désormais à ce monde.

« Nous étions tous les trois ensemble le plus souvent, ou bien en tête-à-tête, et toujours revenaient ces moments qu’avec lui nous connaissions depuis toujours où nous habitait la certitude (le sentiment de cette certitude) qu’il n’y avait personne au monde avec qui nous puissions être aussi exactement nous-mêmes, avec qui nous puissions reconnaître intégralement comme nôtre la figure qu’il formait en s’adressant à nous. »

Une amitié puissante et présente à chaque page avec celui qui n’est désormais plus qu’une ombre et auquel on se demande comment lui parler mais continuer à lui parler, parce qu’il le faut.

Une écriture au phrasé souple mais étirée comme une phrase proustienne chargée de réminiscences, de sensations, de traces partagées dans l’appartement parisien d’abord, ce lieu traversé par les uns et les autres et dont l’évocation renvoie comme un prisme à d’autres lumières, d’autres sources de partages et de réjouissances et où ils se retrouvaient quand Arnaud y vivait encore avant de devoir le quitter pour raisons économiques, à cause d’un bailleur toujours plus gourmand. Puis, le prétexte de respirer un peu, loin du monde, dans une campagne retirée à Maranche loin de Paris, dans une vie simple, la petite maison qu’il n’a pas occupée longtemps qui le coupait de plus en plus de sa vie parisienne, l’éloignait de ses amis, le tenait dans un silence que bientôt il occupera tout à fait quand l’attaque cérébrale se déclarera.

Des premières visites étonnées que Clémence et Vincent lui faisaient auxquels il racontait sa nouvelle vie sans pouvoir s’arrêter de parler « comme font les gens qui vivent seuls, pensions-nous, sans relations ni connaissances, intarissablement volubiles sitôt qu’une occasion de parler se présente à eux… » où rien jamais n’était dit sur ses choix, le texte dit le fil invisible où se tisse parfois une amitié sincère, quand elle se construit même sur des silences et des incompréhensions.

« Maintenant, nous savons bien que nous nous sommes trompés, mais il a fallu ce désastre pour que nous le comprenions. Nous pensions que nous allions le perdre et qu’il allait lui-même se perdre en partant s’installer à Maranche, mais c’est précisément parce qu’il a perdu ce qu’il y avait trouvé que nous le perdons. Nous n’avons rien compris, et tout ce qu’il nous disait, tout ce que nous aurions dû voir à travers son regard quand il nous parlait de Maranche ou quand il nous le montrait, nous avons été incapables, nous avons refusé de le voir ».

Un monologue contraint et silencieux, dans un face-à-face parfois intimidant, gênant aussi, où ceux qui sont là, pour l’amitié, se demandent comment se comporter quand l’autre ne répond plus mais peut-être entend et comprend ce dont on se souvient et qu’on déroule à l’infini comme pour le ramener.

« Il me semble, disait-il, qu’il n’est rien dans l’amitié qui ne puisse et ne doive faire l’épreuve de la parole, et justement ce qui peut se jouer dans l’espace intime où vit son ami, lorsqu’on s’y trouve en son absence, échappe au contrôle de la parole, et les monstres vous envahissent, comme on sait que fait le sommeil du bon sens ».

« … Quand l’ombre s’allonge et nous glace le cœur » mis en exergue, est de Guy Goffette, et justifie le titre de ce petit livre délicat et puissant.

 

Marie-Josée Desvignes

 


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A propos de l'écrivain

Jean-Paul Goux

Né en 1948, Jean-Paul Goux, qui a longtemps enseigné la littérature à l’université de Tours, vit désormais à Besançon. Son œuvre romanesque est publiée par Actes Sud depuis 1995. Après la trilogie Les Champs de fouillesLes Jardins de Morgante, la Commémoration, la Maison forte, Le Séjour à Chenecé clôt la trilogie Les Quartiers d’hiver, entamée avec L’Embardée et qui s’est poursuivie avec Les Hautes falaises.

 

A propos du rédacteur

Marie-Josée Desvignes

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Marie-Josée Desvignes

 

Vit aux portes du Lubéron, en Provence. Enseignante en Lettres modernes et formatrice ateliers d’écriture dans une autre vie, se consacre exclusivement à l’écriture. Auteur d’un essai sur l’enjeu des ateliers d’écriture dès l’école primaire, La littérature à la portée des enfants (L’Harmattan, 2001) d’un récit poétique Requiem (Cardère Editeur, 2013), publie régulièrement dans de très nombreuses revues et chronique les ouvrages en service de presse de nombreux éditeurs…

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