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L’Homme-tigre, Eka Kurniawan

Ecrit par Theo Ananissoh 06.11.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Asie, Roman, Sabine Wespieser

L’Homme-tigre, septembre 2015, trad. de l’indonésien par Étienne Naveau, 246 pages, 21 €

Ecrivain(s): Eka Kurniawan Edition: Sabine Wespieser

L’Homme-tigre, Eka Kurniawan

 

Le lecteur, l’heureux lecteur (insistons !) de L’Homme-tigre apprend dès la toute première phrase du roman que Margio a assassiné Anwar Sadat. Il lira (une demi-douzaine de pages de description calme et méticuleuse) comment Margio a tué (est-ce le mot approprié ?) sa victime. A la fin de ce premier chapitre, Margio expliquera calmement aux policiers que ce n’est pas lui qui a commis cet acte mais un tigre qui est dans son corps. « Ce tigre était blanc comme un cygne, cruel comme un chien féroce ». Il faut reconnaître à Margio… comment dire ? la bonne foi d’avoir annoncé avant l’assassinat que le tigre en lui avait envie de commettre un meurtre. Ceux qui l’on entendu dire cela à plusieurs reprises, copains ou voisins, au pire ont pensé qu’il manifestait là une haine bien compréhensible contre son père, homme très violent dans son foyer. Mais ce père (Extraordinaire réussite d’un personnage ; sans doute le meilleur du roman de ce point de vue. Un concentré de souffrance et de cruauté. Une agonie humainement grandiose), ce père donc est mort récemment et enterré ; c’est d’ailleurs ce qui a fait réapparaître Margio qui avait disparu du village sans laisser d’adresse.

« Il disait qu’il y avait quelque chose dans son corps, quelque chose d’autre que ses entrailles, qui mettait tout son corps en mouvement ou l’immobilisait, quelque chose qui s’était glissé hors de lui pour l’inciter à tuer Anwar Sadat. Il avait dit aux policiers que cette chose était très forte, si bien qu’il n’avait eu besoin d’absolument aucune arme. Il avait étreint fortement Anwar Sadat, qui, sous la surprise, avait essayé de résister. Cependant, la prise des bras de Margio était très vigoureuse. Il balança ses mains vers le haut, arrachant au passage des cheveux à Anwar Sadat, dont la tête ne pouvait guère bouger. C’est alors que Margio planta ses dents dans le côté gauche du cou d’Anwar Sadat, comme un amoureux embrassant ardemment la surface de peau située sous l’oreille de sa bien-aimée, un amoureux haletant sous le feu de sa passion ».

Eka Kurniawan est un conteur minutieux et patient comme le montre cet extrait. D’entrée de jeu si l’on ose dire, tout le monde sait qui a tué qui et comment. Au reste, des policiers, du major Sadrah qui arrivent aussitôt sur les lieux, il ne sera plus question au-delà de ce premier chapitre. Toute la suite du roman concernera les temps et les faits antérieurs au meurtre. Un flash-back complexe mais limpide qui couvre plusieurs décennies et développe de nombreux autres personnages. Pourquoi Margio, garçon posé et raisonnable comparé aux autres jeunes du coin, tue-t-il soudain et d’une façon si primitive son voisin Anwar Sadat, homme doux, peintre raté dont le seul « défaut » est d’aimer beaucoup les femmes ? Qui est Anwar Sadat ? Et Margio lui-même ? Qui sont ceux qui les entourent ? Tout et tous seront présentés, exposés, décortiqués. Se dégagent peu à peu deux familles que rien ne rapproche si ce n’est le hasard du voisinage. Mais l’humain et ses actes ne sont jamais simples. De sorte que ce meurtre étonnant de barbarie n’est peut-être pas aussi inhumain qu’il en a l’aspect. Notre présentation grignote déjà le droit et le plaisir du lecteur de découvrir par lui-même. Arrêtons-nous donc ici. Redisons juste que L’Homme-tigre est simplement une œuvre magnifique, et que la qualité de l’art narratif qui est déployé avec une maîtrise naturelle et paisible est rare. A la fin du roman, le lecteur se retrouve avec un puzzle soigneusement reconstitué. Un long et lent processus imprévisible qui conduit un jeune homme désœuvré jusqu’au meurtre d’un de ses voisins dans une localité mi-urbaine d’Indonésie. Magistral !

 

Théo Ananissoh

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A propos de l'écrivain

Eka Kurniawan

 

Eka Kurniawan est né en 1975. Considéré en Indonésie comme un écrivain majeur, il a publié en 2002 un premier roman qui paraîtra également chez Sabine Wespieser.

 

A propos du rédacteur

Theo Ananissoh

 

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Domaines de prédilection : Afrique, romans anglophones (de la diaspora).
Genre : Romans
Maisons d'édition les plus fréquentes : Groupe Gallimard, Elyzad (Tunisie), éd. Sabine Wespieser

Théo Ananissoh est un écrivain togolais, né en Centrafrique en 1962, où il a vécu jusqu'à l'âge de 12 ans.

Il a suivi des études de lettres modernes et de littérature comparée à l’université de Paris 3 – Sorbonne nouvelle. Il a enseigné en France et en Allemagne. Il vit en Allemagne depuis 1994 et a publié trois romans chez Gallimard dans la collection Continents noirs.

Il a aussi écrit un récit à l'occasion d'une résidence d'écriture en Tunisie, publié dans un ouvrage collectif : "1 moins un", in Vingt ans pour plus tard, Tunis, Ed. Elyzad, 2009.

 

Lisahoé, roman, 2005 (ISBN 978-2070771646)

Un reptile par habitant, roman, 2007 (ISBN 978-2070782949)

Ténèbres à midi, roman, 2010 (ISBN 978-2070127757)

L'invitation, roman, Éditions Elyzad, Tunis 2013

1 moins un, récit, (dans Vingt ans pour plus tard), 2009