L’enfant du bonheur et autres proses pour Berlin, Robert Walser
L’enfant du bonheur et autres proses pour Berlin, trad. allemand Marion Graf, 304 pages, 21,50 €
Ecrivain(s): Robert Walser Edition: Zoe
L’écrivain suisse, de langue allemande, né en 1878, est décédé à 78 ans en 1956. De 1907 à 1933, l’auteur a publié de très brèves chroniques (de deux à quelques pages) dans le Berliner Tageblatt.
D’une thématique très variée, ces chroniques couvrent des sujets qui vont du fait divers (une soirée d’incendie) à des réflexions sur l’art d’écrire, en passant par de courts récits (rêves ou choses vues).
La plume, alerte, élégante, fluide, révèle un art très sûr de l’air du temps et des atmosphères d’une époque riche, à l’heure du charleston et autres bas-bleus de ce temps.
La brève note, la chronique du jour, la notation sur le vif (à la Léautaud mais en moins acide, certes) servent bien le propos d’un auteur saisi de l’art d’écrire vite et bien.
Le statut même de l’écrivain y trouve sa place, dès l’entame du livre (pp.8-10) :
« Toujours une ombre, toujours à l’écart » l’écrivain ? Il le voit comme un « guetteur, un chasseur, un trappeur, un découvreur ». Bref, il lui assigne de beaux rôles, en dépit de cette condition fragile.
Songerie, rêve, imagination sont aussi à l’œuvre dans ces textes déliés, au double sens du terme :
1925 (p.32)
« J’ai appris à m’habituer à croire qu’il y a quelque chose de beau dans la songerie ».
Ailleurs, Walser disserte sur nombre de sujets dans l’air du temps : la femme, qui connaît tout doucement l’heur(e) de sa libération ; le théâtre qu’il fréquente (et la pièce sur le double adultère bourgeois) ; il passe en revue ses lectures, ses goûts :
1926 (p.61)
« Il est convenable et préférable qu’une femme soit fière d’elle plutôt que de celui avec elle lequel elle marche… »
Il invite son lecteur « à apprendre à lire » ; il relate l’agression causée par un confrère qui lui reproche d’être resté « serein ».
De fait, et le titre choisi pour l’ensemble des textes traduit bien ce que le texte éponyme raconte : « L’enfant du bonheur », « heureux en lui-même », lui qui « possède un amour » n’a besoin vraiment de rien d’autre. L’idéal, quoi !
L’amour de la Suisse par ce Suisse va de soi, et celui du bon théâtre l’empêche de gober n’importe quelle interprétation (p.124).
Bref, Walser enchante, alors que le recueil pourrait paraître disparate à un lecteur distrait. Mais ce serait méconnaître l’auteur de cette réflexion sur soi, en toute lucidité :
« Cent mille impertinences de jeune blanc-bec jaillissaient en moi… »
Une belle redécouverte, par Zoé qui publie l’intégralité des œuvres, depuis 1997.
Philippe Leuckx
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