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Jeunes loups, Colin Barrett

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa 19.02.16 dans La Une Livres, Rivages, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman

Jeunes loups, février 2016, trad. anglais (Irlande) Bernard Cohen, 264 pages, 21 €

Ecrivain(s): Colin Barrett Edition: Rivages

Jeunes loups, Colin Barrett

 

Recueil de sept nouvelles, Jeunes loups (Young skins, selon le titre original) colle aux basques de jeunes irlandais qui traînent leur mal de vivre dans une petite ville imaginaire de la verte Érin.

Le parti pris de Colin Barrett est clair et net : des tranches de vie brutes de décoffrage, quelques rares repères dans l’histoire de ces antihéros, pas de chute inattendue. On les suit une nuit, quelques jours, rarement plus.

Des hommes, jeunes, chômeurs ou employés à de petits boulots, tous ou presque accros à l’alcool, aux filles, parfois à la drogue qu’ils consomment ou vendent, aux médicaments pour soulager leurs souffrances physiques ou stabiliser leurs sautes d’humeur, leurs maux de tête d’après biture.

Des hommes qui subissent avec un désarmant naturel le cours des événements, qui ne songent guère à se révolter, quitter leur bled aux multiples pubs, tant ils semblent formatés tout autant génétiquement que culturellement à une existence dénuée de sens. Résignés, en dépit d’une colère accumulée et que l’on sent toujours prête à exploser, mais qui se dilue dans une acceptation fataliste ou qui, lorsqu’elle explose, le fait de manière parfaitement aberrante et pulsionnelle.

« /…/ des fils de bouseux qui gardent en permanence les manches roulées au-dessus du coude comme s’ils risquaient à tout moment d’être appelés à extirper un veau de la fente fumante d’une vache »(p.10).

Les filles leur offrent de vagues passades, tombent enceintes d’un autre ou se réfugient chez leurs parents avec un môme qu’elles élèvent seules. Elles paraissent parfois plus attirées que les garçons par les études et plus soucieuses de leur avenir.

Eux, ces boiteux de l’existence, flirtent avec une sorte d’autisme qui entrave leurs tentatives de communication, les conduit à des comportements répétitifs et borne leur horizon. Pas d’ambition ni même de rancœur. Des boiteux et des taiseux qui vivent « ici et maintenant ».

Les blessures qu’ils endurent et celles dont ils parlent sont le plus souvent corporelles, le silence régnant sur les bleus à l’âme.

Pourtant, et là réside la force indéniable de l’écriture de Colin Barrett, il se dégage de ces différents portraits une grâce douloureuse, une sensibilité poétique, une tendresse désespérée dont les mères se font l’écho entre deux rasades de bière ou de tord-boyaux. On cherchera d’ailleurs en vain une image paternelle à laquelle ces paumés pourraient se raccrocher et se construire. Absents, décédés, disparus, ils peuplent les nouvelles de vide. Seuls deux oncles agriculteurs et subsidiairement producteurs de cannabis jouent un rôle important dans l’une des nouvelles ; encore se révèlent-ils, dangereux, irascibles, à moitié dingues. C’est donc, à l’essentiel, un monde de jeunes mâles couturés de cicatrices et élevés par des femmes, que Barrett nous décrit.

Un monde qui ressemble à ce ciel « noyé d’une lumière nacrée et rempli d’énormes nuages chromés dont les ventres ridés se couvraient de marbrures et de striures grises, remplis de ce que peut bien être la pluie avant de devenir la pluie » (p.184).

S’exprimant dans les colonnes du Guardian Review, Colin Barrett précisait que son recueil était « plein de ces petites choses qui transpirent à l’intérieur des limites de n’importe quelle petite ville. Erreurs d’évaluation et violence, affaires sombres et gentillesses, silences et explosions ».

Chaque nouvelle est une bombe à retardement, dont l’originalité, spécifique au talent de ce jeune écrivain, est de rarement exploser avant le point final.

Colin Barrett, dans ce livre, ne répond pas aux questions qu’il soulève au détour de chaque page. Il se contente, avec force, finesse et intelligence, de les poser. N’est-ce-pas ce qu’un bon écrivain est censé faire ? À ce titre, Le calme des chevaux, novella d’une petite centaine de pages, laisse présager un avenir de grand romancier et justifie les nombreuses récompenses littéraires anglo-saxonnes qui ont accompagné la publication de ce recueil de nouvelles.

 

Catherine Dutigny/Elsa

 


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A propos de l'écrivain

Colin Barrett

 

Colin Barrett est né en 1982 et a grandi dans le comté de Mayo, en Irlande. En 2009, il a reçu le Prix Penguin Ireland pour ses nouvelles. Jeunes loups (Young skins) a remporté en 2014 le prix Frank O’Connor International Short Story, le First Book Award du journal The Guardian, et le prix Rooney de littérature irlandaise. Ses articles ont été publiés dans les magazines Piquer Fly, A Public Space, Five Dials, et The New Yorker.

 


A propos du rédacteur

Catherine Dutigny/Elsa

 

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Rédactrice

Membre du comité de lecture. Chargée des relations avec les maisons d'édition.


Domaines de prédilection : littérature anglo-saxonne, française, sud-américaine, africaine

Genres : romans, polars, romans noirs, nouvelles, historique, érotisme, humour

Maisons d’édition les plus fréquentes : Rivages, L’Olivier, Zulma, Gallimard, Jigal, Buschet/chastel, Du rocher, la Table ronde, Bourgois, Belfond, Wombat etc.