Jardins de papier. De Rousseau à Modiano, Évelyne Bloch-Dano
Jardins de papier. De Rousseau à Modiano, Évelyne Bloch-Dano, avril 2015, 250 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Évelyne Bloch-Dano Edition: StockQu’est-ce qu’un jardin ? Le lexique ouvrant la première partie de Jardins de papier. De Rousseau à Modiano, égrène le vocabulaire : clos, parc, verger et même paradis, tous ces lieux expriment à la fois la nature originelle de l’homme et son inépuisable capacité à la dépasser. L’auteur invite donc d’abord à une excursion dans le temps, de la préhistoire jusqu’aux jardins à l’anglaise en vogue à partir du XVIII° siècle, car la première culture pratiquée par l’homme fut celle de la terre, et les civilisations peuvent se comprendre à partir de leur façon particulière de faire fructifier celle-ci.
Mais la culture, c’est aussi l’art et la littérature. Alors les « jardins de papier » – objet de la seconde et principale partie du livre – sont le décor parfois primordial, parfois en arrière-plan mais jamais anodin de scènes de romans. Parterres fleuris, haies, tonnelles et autres compositions végétales racontent des jeux de rencontres et d’évitement, de confidences murmurées et de secrets préservés, enfin se font coquins comme dans Le Lys dans la vallée où Balzac, à propos d’un bouquet, ne lésine pas sur les connotations érotiques : « du sein de ce prolixe torrent d’amour qui déborde s’élance un magnifique double pavot rouge accompagné de ses glands prêts à s’ouvrir ». Dans Le ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras, la façon dont Lol et Tatiana ont dessiné, chacune, allées et massifs, nous en apprend plus sur leur psychologie qu’une analyse verbale car les jardins sont « des révélateurs, des projections de notre moi dans l’espace ».
Puisque qu’ils sont aussi « un miroir », s’y reflète la personnalité des écrivains qui entretiennent avec eux un lien plus ou moins direct. Ainsi George Sand « se vit comme terrienne ». Elle jardine elle-même, déguste ce qu’elle produit et incite son ami Delacroix à observer et peindre ses fleurs. Des affinités inattendues se tissent ; à la suite de Rousseau et avant Gide, l’auteur de La mare au diable se passionne pour la botanique tandis que les citadins que sont de Beauvoir, Sartre ou Modiano, sans expérience de la terre, tirent malgré tout parti, dans leur vie et dans leur œuvre, du moindre bout de verdure visible à Paris. Tous les romanciers qu’Évelyne Bloch-Dano convoque, Stendhal, Flaubert, Hugo, Zola, Proust, Colette et Bobin, sont, à défaut d’être toujours cultivateurs, créateurs de jardins de papier.
En ce sens, le soin particulier apporté par l’éditeur pour l’impression de l’ouvrage est une métaphore de ces jardins, réels ou imaginaires. L’encre verte fait ressortir les titres ou décore de subtils feuillages stylisés les pages insérées de façon fort judicieuse tout au long du parcours et consacrées à un aspect singulier, comme dans un jardin des bancs invitant à se reposer un moment pour profiter d’une vue qui nous aurait échappé sans cette halte. L’envie est grande d’aller – ou de retourner – visiter les Charmettes ou Nohant et de relire des romans parfois oubliés depuis l’adolescence.
Marie-Pierre Fiorentino
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