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J’étais à deux pas de la Ville Impériale (2/10)

Ecrit par Didier Ayres 09.09.14 dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

J’étais à deux pas de la Ville Impériale (2/10)

 

Deux amis qui se ressemblent


Je sais.

On souffre.

Pour mourir ?

Non, de ne pas dormir.

Tu peux mourir à la suite d’un mauvais dosage.

Moi ?

C’est à cause du surdosage.

Un abus.

Non.

Je prends ?

Le blanc avec.

Tous les trois ?

Un verre de lait.

Tout ça parce que tu t’es mis en tête que si ta sœur était morte, c’était à cause d’un surdosage. Mais, ça n’a aucun rapport, on meurt, on se donne la mort parce qu’on le souhaite, et les produits n’ont rien à y voir.

Je peux pas.

Tu veux ?

Non.

Dans une petite demi-heure.

Un petit verre.

Dormir.

Oh ! Dormir.

Une demi-heure avant l’effet du somnifère.

On dit que c’est comme la mort, une petite mort ; je trouve ça horrible.

Tu lui as dit ?

Il sait.

Dormir !

Une confession, très personnelle.

Ces faits et gestes, rien de plus.

Toi, toi, toi et les autres.

Tu m’appelleras ?

Il faut fermer la voiture.

Une fois que tu es à Brindisi, il y en a encore pour une heure.

Tous les quatre ?

Tu viens ?

Tu veux dire lui et moi ?

Non.

Elle et lui.

C’est une situation idéale.

Viens.

Viens.

Je croyais que tu le faisais par égard pour moi. Disons par pur esprit de communion spirituelle.

C’est bizarre, mais c’est beau, et il faut beaucoup de confiance en soi pour tenir tout seul. Tu vois ?

Ce que je dis, c’est que c’est le chemin qui n’est pas facile.

Un ami de toujours.

Qui met fin à ses jours.

Moi, je suis passée d’une connaissance vague, abstraite, à la vraie difficulté de reconnaître en moi ce qui faisait la différence entre un état passif et ne rien faire, ce qui est exactement contraire. Donc, ne pas subir, mais venir avant pour décider à son insu.

C’est donc un esprit de communion spirituelle.

Ne pas dire les mots à voix haute, chuchoter, finir les phrases de façon interrogative.

Deux heures chaque jour, ça fait quatorze heures pas semaine, et cinquante-deux semaines dans une année.

Tu as vraiment l’accent.

Tu veux dire, argentin ?

Un peu nasillard.

Une voix qui traîne.

Moi ? Moi ?

 

Un plateau de cinéma

Somme toute, j’ai raison.

Je ne dis pas que c’était bien.

Le spectacle ?

Le spectacle.

Va. Va. Va.

On ne peut pas tout expérimenter.

En fait personne ne sait ce qu’il faut faire, et tout le monde est malheureux.

Le pantalon rouge ?

Rouge ? Non.

Une mauvaise journée, une mauvaise semaine, un mauvais mois, une année affreuse ; c’était ça, tout le temps.

Alors, là, tu continues.

Oui.

Oui, vas-y.

Va. Va.

C’est quand même une grande œuvre, mais l’adaptation !

Non pas faire, mais faire faire.

Tout ça parce que ça tombe à Noël.

Après le tournage, oui, après, dans quinze jours, autour du 24.

Mon fils veut faire du hand-ball.

Elle a du pouvoir.

On peut comprendre ce qu’il lui trouve.

On dit que c’est bâclé.

Tu trouves ?

Moi, non, pas du tout.

On dit : fusionnez.

En vérité, ils ne veulent rien, s’allonger sous le pool-house, et boire de la San Pellegrino quand c’est à la mode.

Donc, c’est bâclé, comme je te le disais.

Donne.

Un scénario de trois cent soixante-quinze pages, recto-verso ! Mais qu’est-ce que ça veut dire. J’ai le droit de dire un mot. De faire un peu mon métier.

Une scène.

Bon, d’accord, un peu bâclé.

Moi, non, je ne trouve pas.

C’est très sérieux.

J’ai lu dans un article dans Le Figaro qu’elle avait lancé hier que l’art est un crime, et elle croyait que c’était nouveau. Ça fait quinze ans que je voyais la même phrase sur le couloir de Sciences-Po. Et ce n’est pas elle qui l’avait écrit, puisqu’elle n’était même pas au Conservatoire à l’époque.

Noël.

Une partie de soi.

Participez.

Va. Va.

Elle disait aussi des âneries sur la version de Bacon du Gréco.

Avec cet acteur ?

Oui, et il est imbuvable.

Moi, je choisis toujours la place la plus difficile dans une assemblée, un endroit que je suis obligé de quitter. C’est bizarre. Mon psy ne dit rien.

Il se drogue.

Un peu d’amphétamines, mais pas très méchant, et du gin, beaucoup de gin ; il ne supporte pas les alcools blancs, alors, il ne dort pas, et c’est pour cela qu’il boit des alcools blancs.

Tu veux dire, face à face ?

Essaie.

Il regarde ?

Je la regarde ?

Tu regardes.

Une partie de la nuit.

Sans elle.

Arbitrairement.

La clarté ?

Alors, là, c’est pas mon problème.

Une nuit qui n’est pas une nuit est une vraie nuit.

Toute cette histoire, c’est logique finalement.

Pearl Harbor ?

Pourquoi tu me parles de cela ?

Va.

Va.

Fais comme si.

Je trouve qu’il ne change pas.

Il a mangé les deux tiers des biens de la famille avec des femmes qui s’appelaient toutes Janine !

Tu veux dire : la maison ?

Les bois.

La cave de Grand-Père.

Le bateau du Cap Corse.

Au pire, je prends un demi-comprimé.

C’est en rapport avec lui ?

Personne ne comprend.

Personne ne sait plutôt.

Il interprète.

C’est-à-dire qu’une chose veut en dire une autre pour lui.

Elle a toujours cet accent polonais.

Tu as remarqué ?

Une langue à double entrée.

Lui, toujours au premier degré.

Elle reste.

Oui, elle est restée boulevard Eugène Haussmann.

Je suis le seul dans cette situation.

Il fait semblant.

Non, il est parfait.

On dirait un petit garçon.

Quelqu’un n’est pas là.

Viens. Viens lire.

Je commence ?

Une blague…

Un peu toujours pareil.

C’est par une vision homogène de la réalité que tu as su bâtir un ensemble, une théorie mathématique qui vaut le renom à ta famille. Cependant, tu n’as pas oublié tes années d’enfance à Rochefort Père. Un père. Un père. On applaudit un père.

 

(en aparté)

Mettre tout de travers, finir sèchement, ne jamais douter parce que la meilleure manière d’être soi c’est de tout considérer avec un œil aristocratique, par exemple en buvant ce breuvage, et c’est ça qui frappe l’imagination, et lui, il me montre l’impact de la balle qui est venue juste là, au-dessus de la clavicule, le sujet était trop violent, c’était un artiste, un vrai, d’origine polonaise, et sa mère vendait des allumettes et posait pour les peintres, enfin tu vois, il est resté comme ça devant.

 

Didier Ayres

 

Partie 1

 


  • Vu : 1993

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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.