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Isidore Isou, Frédéric Acquaviva (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret 07.02.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Poésie

Isidore Isou, Editions du Griffon, 2019, 280 pages, 68 €

Ecrivain(s): Frédéric Acquaviva

Isidore Isou, Frédéric Acquaviva (par Jean-Paul Gavard-Perret)

 

Isidore Isou l’oublié magnifique.

La poésie n’est pas un travail littéraire, c’est un métissage. On ne sait pas d’où elle surgit : encore faut-il lamettre « en condition », en voyage par delà les genres. Il faut gâcher du temps, du papier, il faut être généreux, marcher aussi pour l’atteindre. Il faut être comme l’écrit Acquaviva « ensensés ». Isou l’a compris au fil du temps.

Peu à peu chez lui, elle est devenue visuelle, action, geste, inaugurale. Mais elle reste pour lui avant tout sonore : d’où la filiation que son œuvre connaît (chez un Bernard Heidsieck) par exemple. Une telle conception demeure cependant occultée. Son lettrisme, son pré-spatialisme, sa scansion ontconnu la difficulté du livre. D’autant qu’une telle approche est sans doute plus adaptée à l’ordinateur que d’une certaine manière elle anticipe dans les parcours (faussement aléatoires) qu’elle induit.

Fidèle à Schopenhauer, Isou avait compris combien la musique était l’art suprême puisque le plus dégagé des rapports de contingences capables d’évoquer quelque chose d’extérieur à lui. Il n’a cessé de chercher non une coloration musicale à la poésie mais une poésie résonnante, un « centripète mélodique » (in Création musicale du lettrismeIntroduction à la nouvelle poésie, Gallimard, 1952, p.223).

Isou peut se vanter d’ajouter à la poésie ce qui n’est pas seulement ce qu’on a cru être ; la déclamation et la musicalité de la poésie théâtralisée. Certes la musique et la déclamation ajoutent des gammes inédites qui enrichissent la poésie tout en apportant la mort à une certaine façon de l’envisager.Mais c’était là de revenir à un verbe premier qu’Isou voulait faire vivifier avant que son œuvre soit remplacée par d’autres expériences novatrices.

Une certaine poésie devait donc mourir avant que le lettrisme soit lui-même démenti par une autre recherche. Ce qu’Isou a porté sur des fonds baptismaux fut hélas suivi par ce qu’il nomma une« poésiequette » repris le dessus. Elle continue en servante en employant non seulement les vieux moules mais aussi les vieilles manières d’envisager le langage comme pour perpétuer un patrimoine littéraire littéral. Isou a donc échoué (au moins provisoirement). Le lettrisme a pratiquement disparu au profit ou au détriment d’une poésie moins rebelle aux canons classiques.

Isou n’a donc pu casser les valeurs stables de ce qu’il nommait la « mélodie sèche » de la poésie habituelle. Il existe pourtant indubitablement une beauté plastique et mélodique dans (entre autres) les changements de lettres qu’il proposait. Toutes en effet ne sont pas dans le même degré physique et sonore, chacune change de latitude et de longitude mais une telle intuition n’a peut-être pas trouvé la réalisation concrète espérée par Isouet ceux qu’il entraîna derrière lui : Debord lui-même, Pomerand, Micheline Hachette, Maurice Lemaître, Sylvie Fauconnier, Mona Fillières, ou Patrick Poulain.

Fixéeet sans espace, perçant une ligne nouvelle qui travaillait dans une profondeur inconnue, une telle poésie passait par « le concret et l’échelle d’en bas »comme l’écrit Isou. Elle n’a pas été reçue dans la mesure où elle ne donnait pas des plaisirs attendus. On aime le banal et le précis même dans ce qu’on prend pour de l’avant-garde. Or le lettrisme crée le choc même en ses bouchées de différences qui laissèrent lecteurs ou auditeurs pantois. Ils préfèrent retourner à la platitude plutôt que de se coltiner non seulement à la trouvaille mais à la création cristallisation d’une recherche d’autres potentiels poétiques. Acquaviva répare enfin cette injustice avec sa première monographie sur ce créateur providentiel et largement méconnu.

Isou rechercha – comme on le fit en musique – une poésie atonale, plate mais afin d’atteindre une autre musicalité que ce qu’on définit habituellement comme la musique poétique. Devenant mécanisme pur, voix simple, la lettre se voulut a-mélodique jusqu’à ce qu’elle devienne instrument : chose définie par une mécanique qui ne renvoie à aucune réalité concrète. La poésie lettriste se dégage de l’image (mimesis), elle porte à une autre sphère et à un autre sens : l’oreille, la voix, le son.

C’est parce que le son ne possède aucune réalité concrète, parce qu’il ne renvoie dans une sorte d’abstraction d’essence qu’avait précisé Schopenhauer que la poésie à travers lui pouvait trouver un autre chemin, « ce qui arrivera indubitablement avec le temps » notait Isou. Ce temps n’est – pour le moins – pas encore venu. Et cette poésie qui se voulait sans comparaison, sans rapport d’équivalence, bref en devenant indépendante par ses moyens et faisant disparaître les formes qui lui ont donné naissance reste encore une vue de l’esprit.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

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A propos de l'écrivain

Frédéric Acquaviva

 

Frédéric Acquaviva a travaillé avec Isou les dix dernières années de sa vie, à savoir jusqu’en 2007. Il a monté cinq expositions sur son œuvre dont la dernière exposition monographique du vivant de l’artiste et la plus importante rétrospective sur le Lettrisme au Passage de Retz à Paris avec Bernard Blistène en 2012.

 

A propos du rédacteur

Jean-Paul Gavard-Perret

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Domaines de prédilection : littérature française, poésie

Genres : poésie

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Fata Morgana, Unes, Editions de Minuit, P.O.L


Jean-Paul Gavard-Perret, critique de littérature et art contemporains et écrivain. Professeur honoraire Université de Savoie. Né en 1947 à Chambéry.