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Invention de la terre, Philippe Delaveau

Ecrit par France Burghelle Rey 07.04.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Gallimard

Invention de la terre, 128 pages, 14,50 €

Ecrivain(s): Philippe Delaveau Edition: Gallimard

Invention de la terre, Philippe Delaveau

 

Après le silence d’entrée de deux beaux haïkus, le recueil s’ouvre sur la quiétude du foyer et de la nature au moyen de la liberté chantante du mètre. Tout au long seront convoqués, notamment, les lieux chers et les visages des maîtres en vers brefs ou longs jusqu’à former des versets. C’est ceux-là qui occupent les distiques mimant le roulement du train du poème Transsibérien.

Le charme du texte réside à la fois dans la prégnance du réel et d’une forte spiritualité annoncée par les citations en exergue. Un panthéisme – « quel secret lie les peupliers à leurs fuseaux ? » – fête en quelque sorte l’ensemble que couronne la présence des anges. La voici liée à l’élément marin :

« Et cette baie resplendissante et calme où frémissent les anges ».

Même si cette présence est invisible elle est porteuse de vérité car c’est sur elle que ceux-ci veillent.

Ne peut-on pas supposer que ce sont ces anges invisibles qui aident le poète à inventer sa terre ? A la fin de l’ouvrage une note donne son explication au titre : « la poésie nous découvre-t-elle pas… le territoire sans limites qui s’étend hors de nous ».

La terre ne peut que s’inventer pour ceux qui sont appelés « les espions de Dieu » et qui, dans leur contemplation, sont émerveillés : « le réel est sans fin, sans limite, il étonne ».

Dans des tableaux où il travaille la couleur « après le gris de métal vert de la lavande, un ciel promet le bleu », Philippe Delaveau explore la nature et ses éléments, champs, arbres, oiseaux, papillons, et tous ont un rôle dans la cohérence du texte. En témoignent, par leur existence symbolique, les cigognes avec leur « Long bec désignant l’Est et le retour vers la Lumière ».

Le texte Cimetières de voitures et ses « signes de la mort » montrent ce que cette exploration peut parfois avoir de réaliste et, de cette façon, se trouve privilégiée, de part et d’autre de l’opus, l’évocation des moyens de transport. Le métro lui-même n’est pas oublié quand à la sortie du Louvre – occasion d’une admirable description au sujet de Rembrandt – s’exprime comme pour les bateaux et les trains l’idée récurrente du chemin ; un topos que l’on retrouve dans des allusions aux rues et à leur bitume.

Ainsi les éléments qui sont liés aux saisons, telle l’eau sous toutes ses formes, par exemple celle de la pluie, prennent-ils ici tout leur sens. L’écoulement des canaux et des fleuves participe de ce motif du mouvement qui répond au besoin d’évasion du poète-voyageur. La nature a sa philosophie et sa rhétorique : « nous sommes là devant le temps du ciel et l’argument du fleuve ».

Tout au long de l’ouvrage sont présentés de multiples lieux, sources essentielles d’inspiration, dont le sens mystérieux « avec le signe explicite d’une présence » 1), restent à décrypter. Les Champs-Elysées, Londres, l’Inde etc. que traversent la Seine, la Tamise ou le Gange.

Il s’agit d’une quête apparemment satisfaite qui n’empêche nullement le questionnement. Nombreux donc sont les vers interrogatifs sur le lieu, le temps, la vie dans lesquels tout est prétexte à poésie :

« où est le bleu, la joie, l’ample ciel qui libère »

Jusqu’au texte 2 de Grand Nord à la fin du recueil perdure l’incertitude :

« Qui suis-je ? Où est notre pays ? Où la rive éternelle ?

Devons-nous traverser le temps sur une barque ? »

Le narrateur semble au moins obtenir une réponse à la question « Où vas-tu ? ». Car qui part souvent revient et peut écrire :

« errant aux quais bruyants, voyageur revenu

sur la page déballant la valise et les mots lourds et nus »

L’écriture poétique qui « envie les aptitudes de la musique et de la peinture » 1) est présentée ici encore comme une des plus belles solutions pour « approchele secret du monde » 1). Symboles et métaphores, dans un lyrisme distancié qui sait se montrer à la frontière d’un nouveau langage, sont au service d’une quête de la vérité et de la pureté comme l’est le cristal des « Verres à pied ». A noter, au milieu de la variété des trouvailles, la personnification du soleil qui « éveille », « nomme » et « humanise ».

Le recueil évolue, grâce au verbe, vers la lumière qui chante, et la conclusion de la prière Supplication de Pâques : « tout est si simple et vit dans la lumière… vous êtes toute Joie » résume le sens de l’ensemble des textes en affirmant une foi éprouvée et heureuse.

Depuis 1992, pour Philippe Delaveau, le poète est ce Veilleur amoureux qui cherche à comprendre « pendant que d’autres dorment » 1). Et c’est par « l’exercice du chant », dit la note finale, qu’il peut apprendre à discerner le réel.

Enfin, le leitmotiv de la joie trouve son acmé dans le poème ultime. Par la magie des saisons, celle de la pluie où l’on perçoit des « sources de liesse » et celle de la neige qui « révèle une beauté sans nom ».

Mais ce n’est pas « la joie, quand même » de Joseph Joubert. En effet, dans Invention de la terre, ce sentiment est profondément lié à la Présence métaphysique signifiée dans le haïku qui clôt le recueil et embellit à la fois par l’éclat de l’or et par le frémissement des anges.

La poésie et sa musique sont bien ici magnifiées dans la mesure où « L’art est la contemplation de laPrésence ».

 

France Burghelle Rey

 

1) Interview « Instants d’éternité poétique avec Philippe Delaveau » par Alix de Boisset (site Ikoness)

 

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A propos de l'écrivain

Philippe Delaveau

 

Philippe Delaveau, né en 1950 à Paris, a vécu à Londres pendant les années 80. À partir de là, refusant les seuls jeux de langage, il a tenté de concilier la modernité et l’héritage d’une tradition vivante dans la quête d’une langue susceptible de dire l’éternel, réintégrant syntaxe et musicalité dans le poème. Auteur d’une dizaine de recueils de poèmes, la plupart publiés par les éditions Gallimard, il est membre de l’Académie Mallarmé, du P.E.N.-Club de France et membre du jury du prix Apollinaire. Philippe Delaveau a reçu le prix Apollinaire (1989), le prix Max Jacob (1999), le Grand Prix de l’Académie française « pour l’ensemble de son œuvre » (2000) et le Grand Prix de Poésie de la Société des Gens de Lettres (SGDL) « pour l’ensemble de l’œuvre », à l’occasion de la sortie du Veilleur amoureux en Poésie/Gallimard (2010).

 

A propos du rédacteur

France Burghelle Rey

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : poésie, littérature

Genres : recueils, essais, récit

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, éditeurs divers

France Burghelle Rey est Paris, a enseigné les Lettres classiques et vit actuellement à Paris où elle écrit et pratique la critique littéraire. Elle est membre de l'Association des Amis de Jean Cocteau et du P.E.N. Club français.

Plus de cent textes parus dans de nombreuses revues et anthologies ainsi que plus de soixante-dix notes critiques(Nouvelle Quinzaine littéraire, Poezibao, Europe, La Cause littéraire, Place de la Sorbonne, CCP, Recours au poème, Texture, Temporel etc.).

Elle a écrit une quinzaine de recueils dont Lyre en double paru aux éditions Interventions àHaute voixen 2010 puis chez La PorteRévolution en 2013 suivi de Comme un chapitre d'Histoire en 2014 et de Révolution IIen 2016. Le Chant de l'enfance(Prix Blaise Cendrarsadultes) a été publié aux éditions du Cygneen juillet 2015, Petite anthologie, ( Confiance, Patiences et Les Tesselles du jour )chezUnicitéen 2017 et Après la foudrechez Bleu d'encreen 2018.

 

Les derniers textes augmentés de L'Enfant et le drapeau (à paraître chez Vagamundo), naissance rédemptrice d'un " ange " dans un monde en désolation, veulent exprimer l'expression d'une nécessaire présence au monde en souffrance. Elle achève en 2017 un recueil encore inédit en trois parties sur le thème du lieu puis en 2018 commence un récit poétique.

 

Elle a collaboré avec des peintres (Georges Badin) et la graveur Hélène Baumel pour un certain nombre de livres d'artistes.

L'un des ses romans, le premier,  L'Aventure, est publié chez Unicitéau printemps 2018

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